Lejaby, les dessous d’un conflit

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Lejaby, les dessous d’un conflit

L’affaire Lejaby, c’est une usine, une marque prestigieuse de lingerie féminine, vendue pour 1€ symbolique à un fond d’investissement qui projette de délocaliser la production en Tunisie.

93 salariées sont employées sur le site d’Yssingeaux (Haute-Loire), 250 sur le site de Rillieux-la-Pape (Rhône), essentiellement des femmes. Tous résistent, refusent la fatalité, occupent l’usine, puis arrivent à toucher les pouvoirs publiques qui trouvent un repreneur.

Le Tribunal de Commerce a prononcé la liquidation de l’entreprise le 18 janvier 2012. L’occupation de l’usine par les ouvrières (90) et ouvriers (3) a été votée dès le lendemain.

Le 1er février, le Ministre Laurent Wauquiez se présente avec un repreneur potentiel et une subvention pour redémarrer une nouvelle entreprise. De petite usine du fin fond de la province, l’affaire est devenue une affaire d’état.

Pendant cette occupation, nous avons publié sur le site du journal Libération une chronique quotidienne avec des textes rédigés avec les ouvrières et des vidéos brut tournées dans la journée : Les Dessous d’un conflit.

De cette chronique nous avons monté un film Lejaby, Carnet de bord.(=> Retrouvez le film ICI)

Textes de la chronique, accompagnés des commentaires envoyés par les lecteurs

18/01/2012

Le verdict

Mercredi, 17h30. Temps froid, quelques degrés en dessous de 0.

On bat la semelle devant la Préfecture du Puy-en-Velay, en attendant les « Lejaby ». Nous ne sommes pas nombreux, ce soir. Frileux ou craintifs ne sont pas venus. On reconnaît dans le petit groupe quelques briscards du militantisme. Syndicats, partis politiques de gauche sont représentés, entourés de quelques journalistes de la presse locale.

Finalement, Bernadette, déléguée syndicale, nous rejoint. Elle nous explique que les autres ne viendront pas. Après une manifestation devant la permanence de Laurent Wauquiez, ministre et député, et l’annonce tardive du verdict du Tribunal de commerce de Lyon, elles sont rentrées, effondrées du résultat. Alors, elle nous explique. On sent sa gorge nouée, son émotion, son découragement. A son regard, nous avions tout de suite compris que le Tribunal a choisi la solution la pire. Pourtant…


19/01/2012

On verra demain

Jeudi, 10h. Temps doux. Ciel gris. Le soleil fait quelques apparitions.

La petite usine est dans une zone artisanale, à l’extérieur de la petite ville d’Yssingeaux. Dans un paysage de plateaux volcaniques. La proximité de la ville de St-Etienne à environ 40 km, ne se fait pas sentir. Ni frénésie, ni circulation, ni bruit.

L’usine est plantée au milieu d’un parking et semble minuscule. Des femmes entrent et sortent. A l’intérieur, je me heurte d’abord à un groupe qui joue aux cartes. «Bonjour», «Bonjour». On me regarde entrer mais on ne me demande rien. Des personnes avec des micros, ou avec des caméras, des appareils photos circulent parmi les femmes en blouse rose pour la plupart, qui ne semblent pas prêter attention à ces objets anachroniques. Je me présente, discute avec l’une, avec d’autres. Je me promène, je filme, j’interroge. Les larmes viennent vite, et très vite, je suis gagnée par l’émotion. J’évite les questions qui nous troublent, elles et moi. Il y a aussi des moments de détente, de discussion. Je me joins à un groupe autour de Raymond, responsable syndical. Les discussions portent sur l’avenir, sur la politique, mais également sur des questions plus personnelles, parfois intimes. La rage, la haine, les rires, s’entremêlent, et des regards inquiets s’interpellent.

5 – Dany et Chantal: Toute une vie chez Lejaby

Un homme entre dans la salle de cantine où tout le monde est réuni. C’est le maire d’Yssingeaux. «Tient voilà le maire» c’est la seule remarque qui ponctue son entrée. Pas plus d’émotion que cela, alors que quelques minutes plus tard l’arrivée d’un ancien collègue, à la retraite depuis longtemps soulève l’émotion et tout le monde se précipite dans l’entrée pour l’accueillir. Souvenirs, embrassades et rires soulagent la tension ambiante pendant un moment, alors que dans un bureau voisin, le maire répond à quelques journalistes.

Plus tard, Raymond annonce pour le lendemain la visite d’Arnaud Montebourg. Les femmes qui se préparent à partir, relèvent à peine la remarque. On verra demain. «Assemblée générale à 9h».

6 – Lejaby, Raymond, responsable syndical


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23/01/2012

Occupation

Lundi, 8h45. Temps gris, quelques degrés au-dessus de 0.

J’arrive de bonne heure à l’usine, mais déjà quelques femmes sont là. On dit généralement les « filles ». Et chaque fois, je sursaute. Filles-femmes, femmes-filles… Appellations qui flirtent avec ironie, fierté, et affection. Je n’ai pas de réponse. En tout cas, aujourd’hui, face à ce groupe, on se sent en face d’un bloc palpable, compact, solide. Elles se connaissent bien, et le mot « soudé » prend tout son sens.

Aujourd’hui encore des journalistes, des télés sont là. Avec simplicité, confiance, elles répondent aux questions. Les larmes et les regards inquiets de la semaine dernière sont loin.

Une délégation de la CGT-santé est là également. Face au groupe compact des « filles » Lejaby, les visiteurs se sentent « en visite ». Dany m’a dit à son arrivée, « Je me sens remontée à bloc. La semaine dernière ça n’allait pas mais maintenant, je suis à fond ».

On assiste, à la fin de l’AG, au vote fatidique. L’occupation du site est votée.

Devant les caméras et Arnaud Montebourg, elles entonnent « leurs » chansons, fièrement conscientes de l’image de force qui se dégage. Et comme chaque fois, l’émotion m’étreint.

9 – Lejaby-3 petites notes de musique

Commentaires

Ces quelques mots ne changeront certaines pas grand chose mais je voulais vous apporter tout mon soutien dans votre bataille. Les dessous Lejaby m’accompagnent tous les jours depuis très longtemps maintenant, et c’est juste les meilleurs… alors faire partir tout ce savoir-faire c’est de la pure connerie. Si j’étais prête à payer un peu plus cher (et encore tout est relatif en matière de lingerie), demain si Lejaby délocalise, et bien c’est clair, mon achat de la semaine dernière sera le dernier!!!
Bon courage pour la suite!
Rédigé par : Stéphanie C. | 24/01/2012 à 12:32
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Bonjour,
Je suis Belge. Et je voudrais vous faire part de mon soutien dans votre juste lutte, ma compagne âgée de 87 ans est aussi à vos côtés.
Bon courage à toutes.
Rédigé par : Michel | 24/01/2012 à 13:10
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« Devant les caméras et Arnaud Montebourg, elles entonnent « leurs » chansons, fièrement conscientes de l’image de force qui se dégage. » C’est pas l’impression que j’ai eu… J’ai plutôt eu l’impression d’un groupe faible et vulnérable ne comprenant pas ce qu’il lui arrive, ne sachant pas à qui s’en prendre « aux patrons » « à Sarkozy », moi ce que j’ai vus ces des femmes désespérées, qui ne comprennent pas le monde dans le quel elle vivent…
Rédigé par : Arnaud | 24/01/2012 à 13:11
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je trouve bien typique des luttes de femmes cette idée originale de se faire des chansons entrainantes et d’écrire pour partager ! bravo « les filles » ! on vous soutient et… on va vite se mettre à porter plus souvent du Lejaby ;-)
ça me fait penser à « We want sex equality », ce film émouvant qui raconte une lutte de « filles » en Angleterre.
bravo pour votre courage. tenez bon !
Rédigé par : marion | 24/01/2012 à 13:37
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Encore un « plantage » d’entreprise voulu afin de délocaliser….c’est une honte, car ces femmes ne retrouveront pas de travail…et on nous rebat les oreilles avec le travailler plus pour gagner plus, enfin c’était il y a quelques années maintenant. Ces repreneurs se frottent les mains, ils vont pouvoir faire travailler plus pour rémunérer moins, c’est d’ailleurs ce qu’ils souhaitent tous, les voir se pavaner devant Parisot et compagnie, ça me donne envie de vomir tous ces vautours. Bon courage mesdames, mais je suis comme vous, je n’espère rien de vous les repreneurs.
Rédigé par : Chambouletout | 24/01/2012 à 13:45
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les luttes sociales ne sont pas finies. Mais combien faudra t’il de drames avant que cela ne cesse. Lejaby, porte drapeau de la resistance, pourquoi pas. Merci Mesdames.
Rédigé par : Dominique | 24/01/2012 à 13:49
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Courage. Ne lâchez rien.
Rédigé par : Yohan | 24/01/2012 à 13:49
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Bravo les filles.
Et dire que nos politiques n’ont que mépris pour ces femmes qui osent revendiquer un travail que la Constitution leur accorde mais que les politiques refusent de rendre effectif pour s’aligner sur les dogmes du libéralisme mondialisé.
Rédigé par : bouthemy | 24/01/2012 à 13:57
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@arnaud  »qui ne comprennent pas le monde dans le quel elle vivent… » Toi tu as compris certainement…..
Rédigé par : jgo | 24/01/2012 à 14:04
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Vous avez tout mon soutien.
Sur France Info,un docte Mr expliquait que,vu le nombre d’opérations manuelles,la délocalisation était inévitable car aucune femme n’accepterait de payer 400€ un soutien-gorge.Pourtant,dans un autre reportage,vos anciennes collègues qui ont crée leur SCOP les vendent 65€!Récemment,une jeune femme,fraîchement diplomée d’une prestigieuse école de commerce,m’expliquait cyniquement que les marques prestigieuses délocalisaient car elles avaient des dépenses marketing et des frais immobiliers considérables!Et oui la pub et un emplacement commercial prestigieux sont plus importants que les salariés.Et comme les dividendes aux actionnaires priment encore plus,voilà comment on sacrifie l’humain…
Courage les filles et si vous décidiez vous aussi de créer votre propre entreprise,faites nous le savoir!Je pense que nous serions nombreuses à devenir vos clientes.L’e-commerce offre une formidable vitrine aux PME!
Rédigé par : A-M Dréau | 24/01/2012 à 14:11
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bonjour,
tout mon soutien dans votre résistance , je me posais une question pourquoi ne pas avoir tenté de créer une scop cela peut marcher avec une centaine de personnes?
Rédigé par : michel | 24/01/2012 à 14:15
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bon courage les filles j ai connue ici en bretagne la meme chose que vous etre licencie a 53a avec mes collegues allez je vous soutient allez bon courage je pense a vous solidarite
Rédigé par : philou | 24/01/2012 à 14:29
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Il faudrait peut-être dire que la chanson entonnée ici se fait sur les notes de « In the army now » des Status Quo.
Bon courage à toutes, les français sont à vos côtés.
Rédigé par : TZ | 24/01/2012 à 14:31
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Une entreprise de plus qui délocalise, non seulement on perd des emplois, du travail pour nos forces vives, mais on perd de l’expérience, du savoir faire, de la maîtrise du geste, et cela c’est irrrrrrremplaçable.. Messieurs les financiers arrêtez de sacrifier les vies des travailleurs sur le dos de plus de rentabilité éphémère, arrêtez votre recherche de toujours plus de profit d’argent, faites plutôt profiter les travailleurs. Dehors !! les financiers qui ne savent faire que de l’argent, ne leur demandez pas de faire de la lingerie, ils ne savent pas faire, ils savent faire de l’argent uniquement ..
Les Lejaby et C° luttez, luttez, nous sommes avec vous pour que vous retrouviez votre travail, ne laissez pas les requins de la finances vous sacrifier pour leur confort intellectuel et matériel, ils vous doivent le respect après parfois une vie entière de labeur qu’ils veulent balayer d’un trait de plume au bas d’un contrat de voleur, d’escroc, d’affamé de la thésaurisation du capital..
Montrez leur que vous êtes capables de reprendre en main votre destin, on vous aidera, on vous soutiendra ..
Bon courage à toutes et à tous
Rédigé par : dgo | 24/01/2012 à 14:40
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bravo les filles…
votre courage sera récompensé, si les électeurs et les anciens abstentionnistes se réveillent et se Révoltent !!!
On peut tous du jour aulendemain, se retrouver dans votre situation, Alors Q’uesque l’on attend pour prendre le pouvoir
Bordel !!!
Bises à toutes et surtout, ne lachez rien…!!!
Rédigé par : frédéric | 24/01/2012 à 14:56
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Elles ont travaillé sans moufter pendant plusieurs décennies, acceptant d’être moins bien payées à l’ancienneté qu’à leurs débuts et se retrouvent sans aucun recours… Aucune formation, aucune évolution leur permettant de prendre leur outil de production en main, juste lâchées par les politiques…. Des ouvrières qualifiées vont devenir caissières, femmes d’entretien ou prè-retraitées.
Cela est-il une fatalité? À l’heure où les banques coopératives se développent, n’y avait-il aucun moyen de monter un fond d’investissement? À l’heure où tant de cadres compétents se retrouvent également au chômage, aucune plate-forme pour lier des savoir-faire. L’imagination n’est pas au pouvoir dans ce monde sauf lorsqu’il s’agit d’exploiter son prochain ou dissimuler des fonds au fisc et c’est bien tragique.
Rédigé par : Scriptologo | 24/01/2012 à 15:13
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Un peu d’histoire en chanson.
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La Commune est en lutte
Sans doute, mon amour, on n’a pas eu de chance
 Il y avait la guerre
 Et nous avions vingt ans 
L’hiver de 70 fut hiver de souffrance
 Et pire est la misère 
En ce nouveau printemps…
 Les lilas vont fleurir les hauteurs de Belleville
 Les versants de la Butte
 Et le Bois de Meudon…
 Nous irons les cueillir en des temps plus faciles…
La Commune est en lutte 
Et demain, nous vaincrons…
Nous avons entendu la voix des camarades :
« Les Versaillais infâmes
 Approchent de Paris… »
 Tu m’as dit : « Avec toi, je vais aux barricades 
La place d’une femme
 Est près de son mari… » 
Quand le premier de nous est tombé sur les pierres
En dernière culbute
 Une balle en plein front 
Sur lui, tu t’es penchée pour fermer ses paupières…
La Commune est en lutte
 Et demain, nous vaincrons…
Ouvriers, paysans, unissons nos colères
 Malheur à qui nous vole 
En nous avilissant… 
Nous voulons le respect et de justes salaires
 Et le seuil des écoles
 Ouvert à nos enfants…
 Nos parents ne savaient ni lire ni écrire
 On les traitait de brutes 
Ils acceptaient l’affront…
 L’Égalité, la vraie, est à qui la désire…
La Commune est en lutte
 Et demain, nous vaincrons…
Les valets des tyrans étaient en plus grand nombre
 Il a fallu nous rendre
 On va nous fusiller
 Mais notre cri d’espoir qui va jaillir de l’ombre
 Le monde va l’entendre
 Et ne plus l’oublier…
 Soldats, obéissez aux ordres de vos maîtres
 Que l’on nous exécute
 En nous visant au cœur 
De notre sang versé, la Liberté va naître…
La Commune est en lutte
 Et nous sommes vainqueurs…
texte de Jean-Roger Caussimon, musique de Philippe Sarde
Rédigé par : Michel | 24/01/2012 à 15:55
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Salut à toutes, femmes et filles en colère… La résistance est le seul moyen de vivre debout et surtout d’être respectées.
J’anime un site Internet qui s’appelle « Plus belles les luttes ». Il est ouvert depuis deux ans et nous avons réalisé 90 feuilletons sur les luttes sociales.
Si vous en êtes d’accord et malgré la distance, je suis prêt à venir réaliser un reportage sur votre lutte, vos colères que nous diffuserions sur Internet et qui pourrait vous servir de porte drapeau.
En attendant tenez bon et salutations combattantes
www.plusbelleslesluttes.org
Thierry
Rédigé par : Thierry | 24/01/2012 à 16:16
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entierement daccord, je suis une femme de 58 ans, avec tous mes malheurs aussi!!! et je vois bien quon ne veut plus des pauvres sur cette planéte!!!
Rédigé par : martine | 24/01/2012 à 16:42
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Que dire, les mots sont si dérisoires, que je vous soutiens, mais voilà vous faites partie de la cohorte, les LU, les MOULINEX, les CONTI. Le seul conseil que je peux me permettre de vous donner, c’est voter à gauche, ils ne pourront pas tout : sauver toutes les entreprises etc…, mais faire en sorte que l’on propose aux salariés de retrouver des emplois, en prévoyant grâce à la formation aux salariés de se réinsérer
Rédigé par : Malaguenas | 24/01/2012 à 17:31
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Le progrès façon Lejaby selon les principes du libéralisme financier mondialisé arrive à sa fin. Nous allons crever ce cul de sac libéral dès Mai 2012 A lire Asclépios http://pierrechallenge.overblog.fr
Rédigé par : pierre challenge | 24/01/2012 à 18:04
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Les filles, ne baissez pas les bras, tout le monde vous soutient, gros bisous à toutes je garde d excellent souvenir de mes collègues de travail
Rédigé par : Maryvonne une ex lejaby | 25/01/2012 à 16:10
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je vous remerçie tous du font du coeur. 

Anne-marie (lejaby)
Rédigé par : lejaby | 25/01/2012 à 20:48
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Ma mère avait travaillé là-bas, il y a des années, quand ça s’appelait Rasurel. C’est vrai qu’il y a de l’amitié entre vous. Continuez, courage, vous allez y arriver!
Rédigé par : Alexandre | 29/01/2012 à 20:34
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Tenez bon!Nous sommes dans la même galère que vous: Le géant pharmaceutique Merck a décidé de fermer le site d’Eragny/ Epte à 5km de Gisors(27)où 247 emplois vont être supprimés. 3 semaines de grève, pas de visite des députés des 3 circonscriptions où vivent les salariés de cette usine. nous avons entrepris de nombreuses actions à Gisors, Beauvais, Courbevoie, Hérouville Saint clair ,France3 regions a diffusé des reportages, nous n’avons jamais réussi à avoir l’honneur des télés / radios nationales ? Etonnant non ? à moins que les « censeurs » de Merck n’aient fait leur travail de muselage?
Rédigé par : Nono27 | 29/01/2012 à 20:47

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24/01/2012

Nuit noire pour une nuit blanche

11h. Marielou : Je suis mécanicienne en confection, couturière on disait dans l’ancien temps. J’ai 55 ans et 35 ans de boîte. Un petite couturière de la France profonde. Ce texte je veux qu’il devienne une pétition, et on va le faire signer par les collègues, et pourquoi pas par tout ceux qui se sentent touchés.

Dans la nuit de lundi à mardi, 1h15, nuit noire pour une nuit blanche.

Cette nuit je ne trouve pas le sommeil. Les images, les mots se bousculent dans ma tête. J’entends encore le bruit des machines, l’image des postes occupés, l’assemblage, le piquage, les surpiqûres, la machine « 15 deniers », l’élastiquage, les crochets, le cache armature, le bordage, les étiquettes à poser, tant de vocabulaire. Cette précision de travail au millimètre près, cette polyvalence, cette production demandée…

Cette vie d’amitié, de partage, les mariages, les naissances, les anniversaires, les sorties entre filles, les chagrins, je n’arrive pas à réaliser que tout est peut être fini.

Quel gâchis !

Même à l’agonie nous hurlerons à l’injustice. Quelle force a cette lettre si sa fonction devient pétition?

Ensemble et déterminés, signons !

Commentaires

Bonjour
. Je comprends bien ce texte, vous me touchez. « nuit noire pour une nuit blanche… » une pétition pour faire entendre la valeur de la vie quotidienne du travail tissée de camaraderie, d’amitiés, d’énergie constructive partagée… je signe … 
Bon courage à toutes, tenez bons dans les négociations. Tenez-bon avec la fierté. Je souhaite au blog de continuer pour nous tenir informées des initiatives. 
Myriam, Paris/Marseille
Rédigé par : myriam | 27/01/2012 à 22:34

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Comme un livre déjà lu

12h. Dans l’atelier de mécanique.

Devant l’ordinateur, la discussion s’engage autour du blog: Marielou, Cathie, Myriam. Qu’est-ce qu’on va faire ? Mais on ne sait pas écrire. La vie, la boîte, la lutte…

Myriam est ouvrière mécanicienne en confection. Elle a 50 ans, 30 ans de boîte. Elle explique à Cathie,  40 ans et agent de qualité depuis 10 ans chez Lejaby: «Moi, j’ai une approche différente. Mon père s’est suicidé parce qu’il a perdu son travail, mais à l’époque, on ne parlait pas du suicide au travail. C’était tabou. En 87, c’était franchement tabou. Et en plus il était seul. En fait, ils ont licenciés les cadres. Nous en fait, on est un peu plus protégés. Parce que dans une entreprise, on a tendance à séparer, les cadres d’un côté, les ouvriers de l’autre. Ça fait des clans. Et lui il était seul. En fait, nous on est ensemble. On dépend beaucoup l’une de l’autre, parce qu’on travaille à la chaîne. Et ça fait des années qu’on est comme ça au travail et donc on fonctionne comme ça. S’il manque un maillon à la chaîne, ça marche plus. On est très complémentaires.

Moi aujourd’hui, j’ai le même âge qu’il avait à l’époque. Et ma maman avait 48 ans. Et pour moi, c’est inversé. Moi j’ai l’âge de mon papa, et mon mari a l’âge de ma maman. C’est vrai que j’y pense parce que c’est la même histoire qui recommence. Mais je pense que j’ai construit une certaine carapace de côté-là. Par contre, quand je vois certaines filles autour de moi, ça me fait presque peur pour elles. Parce que la dépression…

Mon papa, il était très jovial, jamais on n’aurait pensé qu’il en arriverait là. Et donc il faut être très très vigilant. Et moi je sais que je fais très attention, maintenant.

D’habitude je lis pas mal, tous les soirs, mais en fait en ce moment, je n’arrive pas lire. Le livre c’est ma journée qui défile, la nuit. C’est comme un livre virtuel.

C’est marrant cette histoire d’écrire. Parce que mon grand-père, il a toujours écrit. Toute sa vie il a tenu un journal. J’ai tout ça à la maison. Avec une belle écriture.»

Commentaires

Bonjour,
Et pourtant , Lejaby etait présent au SIL (salon international de la lingerie) qui se déroulait ce week end Porte de Versailles.
Provocation de la Direction ?
Rédigé par : greg069 | 24/01/2012 à 13:07
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Bonjour à toutes et à tous,
Votre initiative de raconter sur un blog est excellente. À défaut d’être auprès de vous, nous ferons circuler vos informations. Avec vous du fond du coeur. Solidairement. Patricia.
Rédigé par : Patricia | 24/01/2012 à 14:52
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24/01/2012

D’un combat à l’autre, un héritage

Mardi, 16h. Temps froid, ciel plombé, une pluie neigeuse nous glace.

Les filles ont confectionné des panneaux qu’elles installent aux carrefours autour de la ville. A grand coup de masse, elles plantent des piquets. «Ici la rage de Lejaby», «Ici la colère de Lejaby», «Ici Lejaby se bat», «Ici le combat de Lejaby».

Marie-Claude se prépare à monter à Paris. Elle doit participer à une émission de télé. 52 ans, 32 ans de boîte. Mécanicienne en confection. Entre excitation et inquiétude, accompagnée des copines, elle fait l’inventaire.

«Hier tu m’as dit que ton père était mineur», je lui demande.

«Oui. Il est mineur, parce qu’il est pas mort. Il reste mineur. Il était au Puits Couriot. Il a vécu la fermeture du puits, et même il a vécu les débordements qu’il y eut entre mineurs. Tout ce qui est de la mauvaise entente, les conflits. Pour le travail, pour le salaire, pour les horaires. Les mineurs n’étaient pas tous d’accord. Il était au fond du puits. Il était piqueur. Ily a eu des conflits en 68, au moment des grèves. Parce qu’il y en avait qui voulaient faire la grève et d’autres qui ne voulaient pas. C’est pour ça que nous, on va pas suivre ce mouvement, on va se battre pour arriver tous ensemble. Lejaby, c’est une vie de famille et on s’est connues jeunes filles, on s’est connues femmes, on s’est connu mamans et on se connaît mamies. Voilà. C’est ça l’ambiance, tu vois c’est cette ambiance. C’est l’ambiance qui est géniale. Si on pouvait arriver à avoir quelque chose , s’il pouvait en sortir quelque chose de positif, je serais contente de ma bataille. C’est ce que je disais à midi à ceux de TF1, si on pouvait arriver à quelque chose toutes ensembles…»

4 – Lejaby- Marie-Claude

1201-19 Marie-Claude par Carnetdebord-Lejaby


25/01/2012

Rencontre choc entre La Vie en Pull et dessous chics

Mercredi, 8h30. Temps gris. La brume moutonne entre les arbres. Les sommets volcaniques disparaissent dans le brouillard.

Malgré le froid, l’usine est déjà en effervescence. Marie-Claude et Jacqueline doivent « monter » à Paris pour participer à une émission sur Canal + (Jeudi matin, en clair). Très vite, il faut s’organiser, préparer l’interview. Trouver une idée. En un tour de main, elles confectionnent un soutien-gorge géant, bleu, blanc, rouge. Elles le déploieront devant les caméras. Marie-Claude me confie « Je ne suis jamais allée à Paris. Je n’ai jamais vu la Tour Eiffel. » Elle rigole. Je lui propose : « Lancez un appel sur Canal pour trouver quelqu’un qui t’emmène voir la Tour, c’est le moment ». Rigolade, plaisanteries. Le nouveau drapeau est prêt. Une demi-heure montre en main. Nouvelles plaisanteries: « Avec le chronomètre aux fesses, il vous faut seulement 13 minutes. »

De nouvelles chaînes de télé apparaissent, nouvelles caméras, nouvelles têtes. Des messages de soutien arrivent de toutes parts: les syndicats, les Citoyens Solidaires, les commerçants de la ville, des élus, des messages de toute la France. Des chèques, des pâtisseries, du chocolat.

 12h. Un couple se présente, Denise et Victor, 84 ans, cheveux blancs. Victor prend la parole calmement, tranquillement, et sa sérénité nous gagne. Il parle du temps lointain d’avant 68, quand les syndicats étaient pratiquement interdits dans les entreprises. Il raconte comment les entreprises ont commencé à fermer, à se délocaliser, dans les années 80. Comment dans une entreprises de tricot, à Roanne, les femmes ont occupé et racheté l’entreprise, monté une Scop, La Vie en Pull. Tout le monde est attentif. Il raconte comment une dizaine de scops se sont créées, dans la région, avec les femmes ouvrières du textile, et comment elles ont été attaquées et finalement, sous les coups de boutoir ont fini par disparaître.

14h. Je suis dans le local technique, avec les hommes, Serge, Michel et Mehni. La conversation tourne autour de la situation générale. La politique, les délocalisations, les crapules.

Mehni : — Mais ils veulent nous amener où ?

Serge : — C’est la Finance

Mehni : — Oui mais la Finance, c’est quoi, c’est qui ?

Michel : — La Finance, il en faut, mais c’est les abus qui ne vont pas. C’est les dérives.

Mehni : — Mais nous il faut qu’on fasse quoi ?

3-Mehni, technicien de maintenance-Lejaby

Mehni, technicien de maintenance-Lejaby par Carnetdebord-Lejaby

Rédigé le 27/01/2012 à 10:43


27/01/2012

Ma vie, elle a jamais été pépère

Jeudi, 8h. Le givre blanchi les champs. Le soleil levant illumine les sommets et la vallée disparaît sous des nappes de brume.

L’usine s’est remplie tôt ce matin parce que tout le monde voulait voir ici l’émission de Canal+ avec Marie-Claude et Jacqueline.

11h. Aujourd’hui Cathie, Céline et Monique viennent dans le coin que nous avons transformé en mini-studio, dans l’atelier des hommes, au milieu des outils. « Alors comment ça marche ? »

Moi : « En fait, il suffit de trouver le premier mot, et le reste vient tout seul. » Je pose la question : «Qu’est-ce que vous avez pensé de l’AG de ce matin?»

Monique : — Quand je me lève le matin, il faut me motiver. Comme si la journée allait être dure. Et l’AG, ça m’enlève le poids que j’avais une heure avant. Cette énergie qui circule ça me fait du bien. Et ça on en a besoin parce que…

Céline : — Parce qu’on ne sait plus trop…

Monique : — Et le truc du Pôle Emploi, j’ai pas envie… J’ai pas envie d’y rentrer. Moi, si on me demande ce que je veux, c’est avoir du boulot, qu’il y ait un projet. J’ai envie de me lever le matin pour aller au travail.

Céline : — Raymond (syndicaliste, nda), il recadre les choses à leur place. Il enlève certains doutes. C’est concret ce qu’il dit, pour moi.

Moi : — J’ai trouvé qu’aujourd’hui vous n’avez pas chanté comme d’habitude. C’était très émouvant.

Cathie : — Oui c’était plus retenu. Ça vient peut-être du fait, qu’on ne sait plus trop où on en est. Parce que ça prend des proportions… Tout ce qui se passe autour… On n’est pas habitué. Ça bouscule nos vies, notre quotidien, ça bouscule nos petites vies pépères. Enfin, c’est une généralité, parce que moi ma vie, elle a jamais été pépère (rires).

Monique (49 ans, entrée chez Lejaby à 18 ans, mécanicienne de confection) : — Ah ! Aujourd’hui, c’était pas pareil. Y’avait pas la même énergie. Peut-être parce que Jacqueline n’était pas là. Moi, déjà, j’ai les cordes vocales qui chauffent. Mais moi je suis contente de vivre ça. Je ne voudrais pas passer à côté de cette expérience, cette expérience de la lutte, parce que ça fait partie aussi de la vie. C’est comme si… être en mouvement…, ou dans le mouvement…, c’est se sentir vivant… Et moi je ne veux PAS mourir!

Ce matin L’AG, ce n’était pas pareil. Parce que ce matin, on attendait des visiteurs un peu particuliers : le sous-Préfet, et des représentants de la DIRECCT (ce qu’on appelait dans le temps la Direction du Travail) et de Pôle emploi. Ils sont venus. Ils ont expliqué qu’ils allaient les rencontrer, par petits groupes, et leur expliquer les procédures, les droits, les possibilités de reclassement. Ils parlent des 98% du salaire qu’elles pourront toucher pendant un an. Mais ils s’emmêlent entre le brut et le net, et ils oublient juste de dire que « cette mesure d’exception » les prive de leur préavis.

Les femmes, les « filles », calmement, en restant assises, face à eux, se mettent à chanter, presque scander « leurs » chansons.

11 – Lejaby-Face à face avec le Sous-Préfet

Lejaby-Face à face par Carnetdebord-Lejaby

Puis un groupe de femmes du Planning Familial vient lire un texte de soutien. Elles y parlent des luttes des femmes, des violences, des bas salaires. Elles sont longuement applaudies.

Commentaires

pour apporter mon soutien aux salarié(e)s de l’entreprise Lejaby à Yssingeaux je viens de lancer une pétition sur le net dont voici le lien : http://www.petitions24.net/soutien_aux_salariees_de_lejaby_a_yssingeaux. En espérant que ce commentaire soit vu par un grand nombre d’entre vous, et que la péttion soit signée par un grand nombre d’entre vous sur ce blog. Merci pour elles. On peut trouver ce lien sur la page facebook de « soutien aux salariées de l’entreprise d’Yssingeaux » ou sur mon profil facebook « valérie De Oliveira ».
Rédigé par : valérie De Oliveira | 27/01/2012 à 11:48
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D’un combat à l’autre le peuple et ses femmes ont toujours été en mouvement même si bien souvent la finance et le patronat les ont déchiré-es. Courage et force à vous toutes et tous. Il faudra que nous vous sortions de là … avec conviction et nécessité d’espoir pour l’avenir.
Rédigé par : Hypathie6011 | 27/01/2012 à 13:44
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Besson avait des doute envers cette direction de bras cassés qui volaient une entreprise et ses salariés. Le gouvernement sarkozyen n’a pas tenu à intervenir pour la « piétaille ».
Rédigé par : pistranias | 27/01/2012 à 14:56
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«Les filles ont voulu chanter leur chanson»

Après la visite de Laurent Wauquiez, Michèle, l’auteur du blog, raconte à Libé par téléphone:

«Les filles sont aux prises avec 250 journalistes, au milieu des machines. Après le discours du ministre de la Recherche (et maire de la commune voisine de Puy-en-Velay), elles l’ont interpellé et ont commencé à vouloir chanter leur chanson. Il a voulu partir en disant « je la connais votre chanson », mais elles ne l’ont pas laissé faire, elles l’ont chantée. Il a dit qu’il y a neuf repreneurs possibles, mais il n’est venu avec personne, alors elles ont quand même du mal à y croire.»

Cet après-midi, c’est Arnaud Montebourg qui se rend sur le site.

Commentaires

 Quel courage et quelle énergie,bravo à toutes pour votre lutte exemplaire!!!Il est plaisant de voir encore des gens debout face à la dictature des financier.Bravo également aux syndicats qui vous soutiennent.
Rédigé par : jean yves | 27/01/2012 à 16:45
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J’ai lu et regardé ce soir le blog en entier depuis le début. Vous, les personnes de Lejaby,vous êtes donc entrés dans ma vie… Bien sûr le cœur se serre terriblement… Mais au-delà de l’émotion, ce reportage dans la durée donne beaucoup à apprendre et comprendre en vous montrant analyser la situation locale et interpeller le politique. Bon courage, à suivre …
M.R, paris
Rédigé par : myriam | 27/01/2012 à 23:26
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Quelle leçon de dignité vous donner au monde ouvrier!
Vous avez emu la france entiere!Vous défendez votre travail dur
et payé depuis des années par un salaire minimum.
Votre combat est celui de la classe ouvrière contre les requins financiers qui ruinent la France.
BRAVO.Nous pensons très fort a vous.
Rédigé par : AM CHAMBLAS | 30/01/2012 à 10:25
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Continuez à chanter vos chansons, à lutter et à tisser des liens entre vous. Merci à Libé et à Michèle Blumental pour ce blog, nous vous lirons encore quand les coupables seront partis.
Rédigé par : Hep | 31/01/2012 à 22:35
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28/01/2012

Je la connais la chanson

Vendredi 8h. Froid glacial. Le brouillard laisse à peine apparaître des arbres fantomatiques.

Dès l’arrivée à l’usine, on sent une atmosphère spéciale. Ce jour ne sera pas un jour comme les autres. « Bonjour ! » « Bonjour ! » On s’interpelle, on s’embrasse, on va à droite, à gauche. La nervosité de ce matin va s’amplifant.

9h. Première AG. Il y a des propositions à considérer. Maurad Rabhi, de la CGT-textile, s’est déplacé.

11h. Réunion rapide avec le Front de Gauche.

12h. On attend Laurent Wauquiez, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Les Filles sont prêtes. Journalistes, bousculades, discours. L. Wauquiez annonce qu’il a 9 repreneurs qui se sont présentés. Un coup d’œil vers les filles les plus proches lui fait réajuster le tir : « Pour l’instant, j’en retiens 3 de sérieux. » Il parle de maroquinerie, de cuir. Après le discours, le ministre se lève. « Non, non, les questions d’abord », l’interpelle-t-on. Bernadette explique qu’elles ne veulent pas de licenciement « Pas de licenciements sans repreneur. Pas de fin de carrière à Pôle Emploi ». Nicole, qui est venue de Rillieux-la-Pape spécialement, se fraye un chemin entre les journalistes et interpelle le Ministre. «Des patrons, y’en a plus, c’est que des financiers. On veut travailler sur notre territoire».

16 – Lejaby – Face à face Laurent Wauquier-Nicole, de l’usine de Rillieux-la-Pape

16 – Lejaby – Face à face Laurent… par Carnetdebord-Lejaby

De nouveau, L. Wauquier tente de mettre fin à ce face à face. « Bon maintenant faites-moi visiter votre usine. » Les filles, fermement : « Non, non, les chansons d’abord». « Je la connais la chanson». Sûre d’elle, Jacqueline donne le départ. Et elles entonnent :

« Y’a plus de trente ans, quand on est rentrée, notre usine, on voulait la conserver. Ici, les salariés… »

15 – Lejaby- Je connais la chanson

16 – Lejaby- Je connais la chanson par Carnetdebord-Lejaby


28/01/2012

Il faut juste garder le rythme

15h. De nouveau c’est la bousculade. Les filles sont assises, très calmes. Arnaud Montebourg, très grand, domine la nuée de journalistes et de photographes qui s’aglutinent à lui et où disparaissent Bernadette et Nicole. Le discours est bref. La visite de l’usine devient traditionnelle. Après le départ d’Arnaud Montebourg et de la visiteuse, Assya Hiridjee, ex-directrice de collection chez Princesse Tam-Talm, Mehni me fait quelques commentaires.

« Quand tu regardes du matin au soir, il y a deux musiques différentes, et il faut juste garder le rythme. »

Mehni, est plutôt enthousiaste vis à vis de cette femme. Technicien machine à coudre, il aime parler de son travail. A chaque visite dans le dépôt, il s’arrange pour être avec les visiteurs et leur présenter lui-même ses machines. Il les connaît «du bout des doigts».

« Elle fait de la soie. Je lui ai dit, ne vous inquiétez pas, les machines je les connais. Si ça va pour la dentelle, ça va pour la soie. Elle veut démarrer avec la qualité et la qualité nous on sait faire. Je lui ai dit qu’on faisait nous-même les « guides » pour les machines, et elle a dit  « Ah bon !!! »». Il est content d’avoir pu montrer qu’il connaissait son métier, et surtout d’avoir trouver quelqu’un qui semble s’intéresser aux machines. La mécanique, il a ça dans le sang. Nous occupons son atelier et chaque jour, il nous montre une nouvelle facette de son travail.

18h. Seuls 2-3 journalistes sont restés pour finir leurs « papiers ». Dans un bureau, Bernadette et les deux déléguées de Rillieux-la-Pape, Jeanine et Nicole, me racontent ce qui se passe là-bas. Les filles qui doivent être licenciées ont déjà quitté l’entreprise. Elle me dit « Ça y est, elles ont disparu. »

Elle me parle de son métier. Elle aussi me parle de l’ambiance. Cette ambiance si particulière des ateliers de confection.

17 – Lejaby – Nicole, déléguée syndicale CFDT de l’usine de Rillieux-la-Pape

0117 – Lejaby – Nicole, déléguée syndicale CFDT de… par Carnetdebord-Lejaby

19h. Nuit noire. Il neige à gros flocons.


29/01/2012

Usine cherche patron désespérément

Dimanche. La neige n’a pas cessée depuis hier. Le froid du dehors me retient à l’intérieur.

Le « dérushage » des vidéos tournées, l’organisation des blogs me maintiennent dans l’atmosphère de l’usine. Je revois Nicole qui me raconte qu’il n’y a pas de patron. Le propriétaire étant un fond de pension, la boîte tourne sans patron. «Il faut faire revenir des patrons. Que les usines soient dirigées par des humains, pas des actionnaires.»

Le directeur est déjà parti depuis deux mois. A Rillieux, les cadres qui vont être licenciés sont déjà partis. Combien de boîtes en France, en Europe, sont dans cette situation ?

Je cherche sur Internet la liste des boîtes en difficulté en ce moment. La liste est longue. La plupart pour des histoires de délocalisation, de fonds d’investissement qui mettent leur argent ailleurs. Peut-être que la proximité des élections accélère-t-elle le processus… On dirait des héritiers qui vident les tiroirs avant l’enterrement.


30/01/2012

Sans commentaires…

Lundi, 9h. La température tourne autour de  moins 7, moins 8 degrés. Neige, verglas, les arbres sont sculptés par la glace.

Quelques filles sont venues dimanche soir pour voir ensemble, dans l’usine le discours du Président. Elles ont noté combien de fois il a cité Lejaby (deux selon certaines, trois selon d’autres, il y a débat). Aujourd’hui, les caméras ont disparu. Seuls les journalistes locaux sont présents dès l’ouverture.

Une délégation d’une autre usine de textile du Puy, les « Fontanille », sont venus. « Dans le temps », Fontanille représentait plusieurs centaines d’ouvriers. Aujourd’hui, il en reste environ 60. Ils remercient les filles en disant que leur lutte leur servira aussi. Que maintenant elles sont une référence pour les prochaines négociations. Une autre délégation, une autre usine, Chesnay, même discours. « Tenez bon, parce qu’on a besoin de vous. Lejaby et Chesnay avait du travail ensemble. Alors ils vont peut-être trouver que chez nous aussi il faut partir en Tunisie pour se rapprocher.»

La traditionnelle assemblée générale fait le point sur l’organisation de la journée. Pas de chanson aujourd’hui.

C’est Martine qui vient me voir la première aujourd’hui.

Martine, 49 ans « Enfin je ne les ai pas encore, j’ai encore 48 ans. »

« Ça fait 32 ans de boîte. Je suis rentrée en septembre 80. Je sortais de l’école, je venais d’avoir mon CAP. Couture, enfin habillement, on dit, mais ça revient au même. Et je savais pas quoi faire donc je suis venue là. Je pensais pas y rester et puis finalement, je suis restée. Parce que moi je suis pas très rapide à la machine. Alors je suis passée plusieurs fois au bureau. Et j’ai eu tout, le chronomètre et tout. Et le chef qui était toujours sur moi. Il avait eu des problèmes alors il s’est acharné sur moi. Moi j’étais visée. Quand il y avait quelque chose, il voyait que moi, il me disait. Il me voyait rire, il avait l’impression que je me foutais de lui. Mais je riais même pas. Au début il venait me parler, il me taquinait, il disait des plaisanteries, mais après, ça a plus été pareil… Ici, il y a des monitrices. Et au-dessus, il y avait le chef d’atelier.

— Mon père travaillait à Creusot-Loire, à Firminy. Ça n’existe plus maintenant, continue Martine.

— Ca aussi, tient, ça a disparu. C’était un fleuron de la métallurgie française, dit Serge.

— Il est parti en pré-retraite. Il y a longtemps. J’avais plus ma mère, alors mon père, il m’a envoyée en couture, au lycée Albert Camus, à Firminy. Je savais pas bien quoi faire, j’avais pas d’idée, alors j’ai dit oui, pourquoi pas, à 14 ans. J’ai fini l’école en juin, je suis rentrée en septembre, là. »

Ici à Yssingeaux, il n’y avait pas de direction. Le directeur était à Rillieux. Le DRH, directeur technique, cadres, agents de maîtrises, tous étaient à Rillieux-la-Pape. « De temps en temps, ils venaient nous voir, pour nous apporter des solutions. Pour des trucs techniques. Si y avait des problèmes», ajoute Mehni.

Ici, les filles étaient encadrées par des « monitrices ». En fait des agents de maîtrise. Mais on dit monitrices. Je fais la remarque que ça fait un peu patronage, colonie de vacances. Mais ce sont elles qui tenaient les chronomètres et  qui poussaient à la production. Aujourd’hui, elles sont dans la lutte avec les autres. On m’a bien dit qu’ «avant ça bardait» avec les monitrices. Mais maintenant, je ne saurais même pas dire qui était monitrice. On m’en désigne une ou deux et je m’en étonne.

Commentaires

Le pitre (ainsi que les joyeux journalistes qui lui passaient les plats) a juste oublié Gandrange !
Une paille…
Rédigé par : AlainH | 30/01/2012 à 17:08
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Lejaby fait l’actualité, alors il répète la raison sociale en boucle.
Il aurait conaissance de millions d’affamés non médiatisés, il ne piperait mot.
Ce type est répugnant.
« Ne me touche pas, tu m’ salis ! »
Rédigé par : casden | 30/01/2012 à 19:08
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je rappelle qu’hollande a fait exactement la même chose… Ils se disputent tous les deux ce sauvetage (tant mieux pour les employés de lejaby) car ils savent que ça leur rapportera des votes…
Rédigé par : D | 30/01/2012 à 20:34
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Nous sommes dans une société d’apparence, de formes, mais plus de fonds (car, ruinée !), alors commençons simplement à ne plus porter de sous-vêtements délocalisés, cela ne se verra même pas sous vos vêtements d’apparence et arrêtera toutes ces importations de délocalisés : oeil pour oeil, dent pour dent, seins pour seins, fesses pour fesses, et sang pour cent !
Rédigé par : Francoiss | 30/01/2012 à 21:22
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et s’il ny avait pas eu les elections?
Rédigé par : PAT74 | 31/01/2012 à 08:46
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De fil en aiguille

Lundi, on apprend dans la matinée que Laurent Wauquiez doit revenir dans la journée.

13h. Tout le monde fait une sortie « en ville » pour une petite action de visibilité, avec la presse locale. En revenant, vers 14h, nous avons la surprise de trouver L. Wauquiez déjà là, seul, dans l’usine déserte. Il salue tout le monde comme un hôte recevant des invités. Les filles font cercle autour de lui et l’écoutent attentivement. Aujourd’hui, sans presse, sans spectateur, l’attitude n’est pas la même. Le ton oscille entre l’homme d’affaire et le prof. Une petite leçon de savoir-vivre, une petite leçon d’économie, trois petits tours et puis s’en va. Il n’oublie pas de dire qu’il faut faire attention, qu’il y a des limites à ne pas franchir, que ceci est bien, mais cela l’est moins. Il n’apporte rien de plus précis que vendredi, mais l’effet est surtout psychologique. Après l’effet d’annonce mal ficelé de vendredi, il lui fallait revenir marquer quelques points supplémentaires. Aujourd’hui, il ne jongle pas avec 6, 9 ou 12 repreneurs potentiels. Il brandit des dossiers, des classeurs pour prouver à quel point il a bien travaillé, en bon élève, digne de sa réputation. Les filles se sentent rassurées, leur message a été entendu, elles ont un peu fait bouger quelque chose. Mais elles ne sont pas dupes de l’effet d’annonce.

15h. Vincent, photographe, étale des photos qu’il a réalisées les jours précédents. Il en a tiré des grands formats que les filles trient et manipulent en riant.

18 – Lejaby-Photos

Lejaby-Photos par Carnetdebord-Lejaby


16h. Une surprise les attend dans l’atelier. Des anciennes, ouvrières retraitées, sont venues et leur chantent une chanson, sur l’air de La Montagne de Jean Ferrat, écrite par Jacqueline, comme d’habitude. On se saute au cou, on s’embrasse, on s’étreint. Les souvenirs remontent à la surface, et l’émotion submerge tout le monde.

Michèle est partie après 26 ans de boîte. Elle a dû partir avant l’âge de la retraite à cause de problèmes de santé. « On souffre beaucoup devant la machine. C’est l’esclavage moderne. Il y a beaucoup de problème de dos, de poignets. Et aussi la pédale… Heureusement qu’il y avait l’ambiance parce que c’est dur comme boulot. On est tout le temps sur la machine ».

19 – Lejaby-Les anciennes apportent leur solidarité

Lejaby-Les anciennes apportent leur solidarité par Carnetdebord-Lejaby

Commentaires

Le nabot et le premier de la classe ont annoncé qu’ils trouveraient des solutions. Je crains pour les ouvrières de LEJABY que ce ne soit que du pipeau, comme pour les ouvriers de Gondrange, comme pour les CONTI comme , comme , comme.
Rédigé par : LaGineste | 31/01/2012 à 15:34
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De quel droit Wauquiez se permetrait il de faire une leçon de comportement aux filles de lejaby? Le moins que l’on puisse attendre de lui, c’est qu’il fasse profil bas et trouve une solution pour que ces ouvrières ne deviennent pas des « assistées » comme il appelle les victimes de la politique qu’il soutient.
Rédigé par : jean yves | 31/01/2012 à 16:19
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Wauquiez donne des leçons de bienséance a ces ouvrières, mères de famille, qui perçoivent un salaire de 1.200 €. Quel mal élevé !!! Quelle ignorance de la classe ouvrière !!! T’inquiète Wauquiez tu retourneras bientôt a tes occupations de haut fonctionnaire et de notable de ton département, tu pourrais en profiter pour parfaire ta culture en te penchant sur la naissance du mouvement ouvrier, ses luttes, ses déceptions, ses espoirs, mais pas sur que cela t’humanise plus que ça.
Rédigé par : Lacor | 31/01/2012 à 17:01
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je vous remerci pour votre soutiens, une journée porte ouverte LEJABY samedi4 à15h yssingeaux la guide venez nombreux
Rédigé par : lejaby | 31/01/2012 à 17:49
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C’est une affaire qui finit bien! Mais quelle attitude négative des employées cette dernière semaine! Aucun remerciement, aucune gratitude, un langage syndical formaté! L’on s’attendait à voir des mines réjouies, que nenni! mercredi soir en voyant sur les TV les mines renfrognées des déléguées, on pensait que l’usine allait être rasée.
Oui elles se sont bien mobilisées! le résultat est dû à cette mobilisation, mais aussi au relais de la presse, aux soutiens de tous bords, aux élus qui ont fait leur travail, à savoir tenter de trouver des solutions, mettre en contact repreneurs et financiers, proposer des aides à la formation professionnelle, des emprunts intéressants (c’est tout ce qu’ils peuvent faire)…. mais surtout à un entrepreneur qui accepte de relever le défi! on oublie trop souvent, que derrière une création, une reprise, il y a un industriel qui prend des risques, qui a des qualités de chef d’entreprise (c’est un métier) ; en l’occurence ce M. Rabeyrin a déjà une unité de 250 personnes et a sans doute assez de responsabilités; s’il accepte ce défi, c’est que, comme d’autres, il a la fibre d’entreprendre et celà est respectable.
Les employés, les syndicats, la presse, les politiques, peuvent se démener autant qu’ils veulent, si il n’y a pas d’entrepreneurs, celà sera stérile. Alors mesdames, un peu de dignité et de reconnaissance du ventre!
Rédigé par : MARYLINE | 06/02/2012 à 17:05
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Bravo mesdames, car vous êtes de Grandes Dames, et de la dignité vous en avez à revendre aux donneurs de leçon… Mais surtout restez vigilantes …je n’en dis pas plus pour ne pas attirer la scoumoune… Tenez bon sans sourire et sans remerciements, car on était tout bonnement en train de vous spollier,de nier votre existence et ce retour des choses n’est que justice et votre dû. Tenez bon et que nous soyons nombreux à vous soutenir !
Rédigé par : Nicole | 11/02/2012 à 02:25

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31/01/2012

Pose paëlla

Mardi, 12h. La neige momifie le paysage. La température oscille entre moins 8 et moins 5.

Aujourd’hui la journée est plutôt calme. Pas de presse, pas de personnalités attendues. Seuls les journalistes locaux viennent prendre des nouvelles. A la traditionnelle AG du matin, on s’organise pour les tâches et les actions de la semaine: un repas avec l’association Citoyens Solidaires, ce soir: une paëlla géante; jeudi, une sortie sur le marché d’Yssingeaux; samedi une journée portes ouvertes. Certaines entament tout de suite la préparation de samedi: rangement de l’atelier, installation d’une exposition de photos, panneaux de textes. D’autres se lancent dans le ménage: ce soir on reçoit.

Bernadette est montée à Paris, invitée au meeting de la CGT, au Zénith, retransmis en direct sur Internet. Elle traverse une salle de 10000 personnes sous une ovation. En quelques mots tout est dit. Retraite, pré-retraite, licenciements. Le discours est maintenant bien rodé. Applaudissements.

14h. Des collaboratrices de Assia Hiridjee (ex-princesse Tam Tam intéressée pour une reprise de l’usine et introduite par Arnaud Montebourg) viennent prendre des informations techniques complémentaires et rencontrent une délégation. Cette visite rassure les filles, surtout après les réflexions de Laurent Wauquiez qui a bien expliqué qu’il ne fallait pas croire à cette pseudo repreneuse, à «Machine là… Comment elle s’appelle ?…» comme il a dit la veille, devant l’ensemble des filles rassemblées autour de lui. Cette réflexion les a choquées, aujourd’hui encore on en parle.

18h. Les Citoyens Solidaires commencent à installer le matériel. Les filles ont déjà organisé la salle à manger. Les odeurs d’épices envahissent mon petit coin d’atelier.

Cathie vient me voir. Elle fait visiter l’usine à ses filles et son mari. Les enfants n’imaginaient pas à quoi ressemblait l’usine. «Je n’imaginais pas que c’était si vieux. C’est triste».

20 – Lejaby-Journée portes ouvertes

Michele Blumental

Rédigé le 31/01/2012 à 19:09 Lien permanent

Commentaires

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ça me rappelle LIP…
Rédigé par : McGee | 31/01/2012 à 21:37
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Bonjour,
Merci pour ce riche travail de reportage. Dommage de voir autant de récupération politique dans ce combat.
Je représente une jeune société dont l’équipe d’ingénieurs, issue de famille d’ouvriers, développe des sites web e-commerce et des accessoires pour tablettes tactiles. Nous n’avons aucune ambition de récupération, mais nous sommes indignés par la situation française, et nous croyons au besoin d’agir par le bas.
Le savoir est sur place, chez les « filles », des machines sont là. N’y-a-t-il pas là une envie de sauvetage collectif, par exemple avec une SCOP? 
Nous sommes prêt à développer grâcieusement un site e-commerce qui permettrait de vendre des produits français, et de sauver l’emploi local!
Si les « filles » ont des idées…nous sommes prêts à aider.
Bon courage,
Rédigé par : Alexandre Goncukliyan | 31/01/2012 à 22:32
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Depuis 25 ans on laisse détruire l’industrie- textile en particulier- dans l’indifférence générale. Je le sais, j’en étais. La gauche, la droite, tout le monde s’en fichait. Quand je dis tout le monde, c’est tout le monde: J’ai participé dans les années 80 à une campagne « nos emplettes sont nos emplois » en faveur du « made in France »: Saboté par les politiques qui trouvaient que ça n’était pas conforme à la mondialisation à laquelle on trouvait alors toutes les vertus. 
Et maintenant, voilà que les politiques se mobilisent pour Lejaby, pour des raisons purement électorales. Ça ne serait que grotesque avec Wauquiez et Montebourg qui viennent faire leur numéro s’il n’y avait ces personnes qui vont se retrouver au chômage, quoi qu’on dise et quoi qu’on prétende faire! Trop tard…bien trop tard.
Rédigé par : zebulonator | 31/01/2012 à 23:39
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Bonjour,
Les ouvriers de Danfoss, à Reyrieux, dans l’Ain, sont en grève. Ils l’étaient encore hier, je ne sais pas où ils en sont ce matin. Ils se sentent un peu seuls. Voilà. C’était juste un message.
Pascal
Rédigé par : pascal | 01/02/2012 à 09:25
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Bonjour,
Je suis attristé comme beaucoup de personnes par la fermeture annoncée de cette usine de confection. Je n’ai pas toutes les informations et je me pose plusieurs questions. Pourquoi attendre un hypothétique repreneur ? Pourquoi attendre une aide de l’Etat dont on sait qu’il n’a guère d’argent et qui, de toutes façons, n’a pas vocation à voler au secours de toutes les entreprises françaises qui tombent. Pourquoi les salariés de cette usine n’essaient-elles pas de reprendre elles-mêmes leur entreprise ? Y a-t-il une impossibilité de fond ? S’il y a une volonté farouche de continuer à travailler toutes sur le site et avec le matériel, s’il y a les compétences nécessaires, pourquoi ne pas essayer de se lancer ? Se plaindre et critiquer les politiques ou les patrons ne mène nulle part, il me semblerait plus motivant de tenter de s’en sortir par elles-mêmes si c’est encore possible. S’il y a une vraie volonté de le faire, il y aura peut-être des solutions sous forme de SCOP par exemple. 
Je suis retraité de la fonction publique, je peux donner du temps en travaillant à distance grâce à internet, c’est possible. D’autres personnes sont comme moi et n’hésiteraient pas à participer à l’aventure. Si vous essayer de rassembler toutes ces bonnes volontés, il y a peut-être moyen de faire quelque chose. Bon courage, et si vous pensez je peux vous aider, n’hésitez pas à me contacter.
Rédigé par : Patrick | 01/02/2012 à 12:16

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01/02/2012

Du gris, rien que du gris

Mercredi. 10h. Le froid et la neige ont figé la campagne dans le silence.

L’AG se passe à huis clos parce qu’il y a des informations à discuter. Quand la porte s’ouvre, on trouve des filles enjouées, et dynamiques. On annonce encore une visite de Laurent Wauquier. Il a fait dire qu’il avait des choses importantes à dire. Il faut préparer la manif de jeudi, et la journée portes-ouvertes de samedi. «Les gens ne viendront pas visiter une usine fermée mais une usine vivante», déclare Raymond.

On reparle de la soirée d’hier, mais surtout de la prestation de Bernadette, au Zénith. Petit à petit chaque jour, les filles maîtrisent mieux leur langage, leur discours, elles discutent ensemble de comment dire, comment présenter, trouver le mot juste.

Je demande à Sylvana de venir faire le blog, aujourd’hui. Comme toutes les filles, elle commence par me dire qu’elle ne sait pas parler, qu’elle ne sait pas écrire. Mais les mots viennent tous seuls.

—« Je suis de Firminy. J’ai été une licenciée de 2003. J’habite toujours à Firminy. J’avais accepté la mobilité. Ça avait été négocié dans le plan social. J’avais 16 ans quand j’ai commencé à travailler. On venait de sortir de l’école, on était jeune.

— Et de travailler à l’usine, ça ne t’inquiétait pas ?

— Non parce que j’avais des copines qui travaillaient ici à Firminy, je les avais connues à l’école. J’avais appris la couture et la cuisine. J’ai choisi la couture, je sais pas pourquoi.

— Je suis arrivée le 30 septembre 1974. Ça fait 38 ans.

— Et tes premières impressions tu t’en souviens ?

— On ne nous a pas fait travailler tout de suite. On nous faisait manipuler des cartes pour voir la dextérité des doigts et après on nous a fait piquer sur du papier. On a fait ça pendant un mois. Et après on nous a mis à la machine. Puis après on était sur la chaîne, on avait un rendement à faire. C’est pas que j’ai pas eu envie de faire autre chose, mais on n’y pensait pas. J’avais appris la couture, alors voilà.  Alors je me faisais des vêtements aussi.

C’est dur le rendement, c’est une cadence. Moi il fallait à tout prix que j’y arrive parce que après ça m’angoissait. J’étais pas bien. Et je me suis toujours angoissée pour mon boulot. Voilà.

Quand j’étais sur Firminy, je travaillais surtout sur des machines plates. J’avais appris à faire du « bordgomme ». C’est de l’élastique.

—En fait, chaque fille travaille sur une étape de fabrication.

— Voilà, c’était du travail à la chaîne, mais s’il manquait quelqu’un on les remplaçait. On était polyvalente, sans jamais être reconnues comme polyvalentes. Après on est montées là. Au début on m’avait mis au contrôle, parce qu’au bout d’un certain temps, j’avais la main qui me faisait mal, et ils n’ont pas voulu le prendre en maladie professionnelle, et qui me fait toujours mal d’ailleurs. C’était dû aux ciseaux. Ça m’a déformé la main. Ça fait une bosse qui me fait mal. Ils ont considéré ça comme de l’arthrose, le médecin de la sécu est venu, mais il n’a pas voulu reconnaître la maladie professionnelle.

— Et donc ça te gène pour  travailler ?

— Ah ça me fait mal, mais je travaille toujours, parce que j’ai besoin de travailler.

— C’est une question d’argent ?

— J’ai besoins de travailler pour tout. Parce que je ne peux pas rester à la maison, j’ai toujours travaillé depuis ma sortie de l’école  et mon but à moi, c’est de m’épanouir en travaillant. Et je continuerai de travailler parce que je suis faite pour travailler. C’est dommage qu’on nous l’enlève, notre travail. C’est honteux. Que le gouvernement fasse partir le travail à l’étranger. Et nous on va lutter, et on luttera jusque bout, pour que tout le monde soit avec nous dans la lutte. Et pour que ça serve, pour que les gens disent leur ressentiment et qu’il n’y ait plus de délocalisations.

Voilà. Et on va gagner.»

Serge est à côté de moi. Il me charrie. Il me dit que «le froid et tout ça, ça fait un peu Zola.» Je lui réponds «Et tu trouves que cette zone artisanale, autour de nous c’est gai?»

– C’est pas très gai non, répond Serge. Vu la tristesse de cette zone, tu vois la lumière de la boîte, mais ailleurs tu vois pas la lumière, tu vois rien, on dirait presque une friche industrielle, les bâtiments sont vieux, ils sont pas mal défraichis. Y’a que du gris.  Et c’est vrai que c’est triste. Et je concluerais la réflexion en disant que le rayon de soleil de cette froideur hivernale, c’est la lutte de tous ces gens pour leur survie.

– Mais toi tu t’implique pas dedans ?

– Mais moi dans ma tête, je suis passé ailleurs. Ailleurs de ce que j’ai vécu jusqu’à présent ici; parce que ça peut repartir; on ne sait pas sur quoi ça peut repartir. Tu t’engage pas la légère sur du n’importe quoi et n’importe comment.

Rédigé le 01/02/2012 à 14:51

Commentaires

« Et je continuerai de travailler parce que je suis faite pour travailler » (sic)
En général, plus on grimpe dans l’échelle sociale, moins on travaille , plus on est respecté, et plus on est payé …
Rédigé par : lamarylis | 01/02/2012 à 15:28

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 »En général, plus on grimpe dans l’échelle sociale, moins on travaille , plus on est respecté, et plus< on est payé … »
=> cliché quand tu nous tiens.
Rédigé par : Godefroy | 01/02/2012 à 17:30

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Surtout, surtout mettez vos machines quelque part – cachez les gardez les ….repartissez les dans des endroits differents …
Quand le « grand groupe » en aura marre de ne pas empocher suffisammeent d argent pour ses actionnaires il vous dira desole « on a essaye ! » mais ca peut pas marcher Peut etre pas demain mais juste le temps que vous ayez perdu la main et perdu vos machines Soyez prudents comme un kilometre de serpents
Rédigé par : Mtcesar | 02/02/2012 à 09:06

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Une première victoire pour les «filles»

Après l’annonce par Laurent Wauquiez qu’un repreneur, maroquinier, a été trouvé, l’auteur du blog donne à Libé la température sur place:

«Il y avait des rumeurs depuis hier. On pense qu’il y a eu une sorte de course contre la montre de la part de Wauquiez, car hier des collaborateurs de l’autre repreneuse potentielle, amenée par Arnaud Montebourg, sont venues à l’usine. Wauquiez voulait remporter la victoire, et il a dit qu’il soutiendrait ce repreneur, qui aurait déjà des commandes de Vuitton. Les filles sont heureuse bien sûr, mais restent méfiantes. Elles attendent d’avoir un papier signé pour être vraiment rassurées. Mais elles ont aussi envie de continuer la lutte pour le reste de la région, qui est en crise. Et elles sont contentes d’avoir ouvert cette porte-là, celle de la résindustrialisation. Faire bouger le gouvernement, pour elles c’est une première victoire.

Là on est encore dans la bousculade, il y a 200 journalistes dans l’usine. Les filles vont se retrouver au calme pour faire une réunion pour décider ensemble comment réagir.»

Rédigé le 01/02/2012 à 16:07 Lien permanent Commentaires (5)

Commentaires

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C’est une excellente nouvelle. Nous sommes très nombreux à Clermont-Ferrand à soutenir votre cause, et à lire, grâce au blog, l’avancée du combat que les filles de Léjaby mènent.
Nous vous envoyons toutes nos bonnes pensées pour que cette crise trouve une issue heureuse
Rédigé par : chapline | 01/02/2012 à 16:48
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Espérons que ce ne soit pas une solution de court terme afin de laisser passer les élections présidentielles.En attendant saluons une nouvelle fois le courage et la détermination des Lejaby.Chapeau bas Mesdames!
Rédigé par : jean yves | 01/02/2012 à 16:50
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Franchement, est-ce que quand une usine de métallurgie ferme, on parle de « victoire des garçons »… #sexismeordinaire
Rédigé par : Liska | 01/02/2012 à 16:52
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Débouchés de la production pour LVMH.
LVMH ? LVMH ? Oui, c’est bien lui. Le copain du Fouquet’s. Alors ça sent à plein nez le coup politique avant les élections. Mesdames et Messieurs de Lejaby, attention, prudence. Vous risquez d’apprendre dans un an, un peu plus peut-être, que c’est bien fini. Comme d’autres avant vous. Vous risquez de vous rendre compte que vous êtes manipulés. Enfin c’est toujours un an de gagné à ne pas pointer à pôle-emploi.
Rédigé par : LaGineste | 01/02/2012 à 16:57
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Prudence en effet, mais bravo. On voit, enfin, que la lutte peut payer, que la classe ouvrière n’est pas morte, qu’elle relève la tête, se bat, et remporte des victoires.
Un grand salut fraternel de la part des militants isérois du PRCF !
Rédigé par : Franck | 01/02/2012 à 17:12

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01/02/2012

Alors oui, on se retrouve demain

14h. On sait depuis ce matin que Laurent Wauquiez arrive avec des bonnes nouvelles. De nouveau les journalistes envahissent les lieux. De nouveau les filles se laissent photographier, interroger. Un collaborateur du ministre vient expliquer comment il voudrait que les choses se passent : d’abord une visite de l’usine, puis un entretien à huis clos, puis la presse. Les filles disent non. D’abord une déclaration en public, et on verra ensuite. Et comme d’habitude le rituel des chansons. Jacqueline sait rassembler les filles et sait qu’elles ont besoin de cela.

Encore une fois, cela se passe comme elles l’ont décidé. Il entre, elles demandent qu’il reste debout pour que toutes puissent le voir, et pas seulement au premier rang. Il présente le repreneur, une boîte de la région (SOFAMA, dans l’Allier). De la maroquinerie. Il nous raconte comment il a tout mis en œuvre pour que ça marche, et qu’il y ait une commande tout de suite, dès la reprise. SOFAMA, est une entreprise avec un chiffre d’affaire de 4 millions d’euros, un capital de 500 000 euros. Avec l’apport de deux millions promis, les machines, plus les promesses pour la réindustrialisation, l’affaire est effectivement une bonne aubaine. Laurent Wauquiez s’étend longuement sur ses démarches, son intervention, « j’ai fait ici, j’ai fait là », quelques sourcils se froncent. « Grâce à mon intervention, on a pu créer 70 emplois, sur le département ». « Mais n’y a-t-il pas eu la disparition de 700 emplois cette année sur le département ? » « Non, non, la Haute-Loire n’est pas un département sinistré ».

Finalement, elles se retrouvent entre elles.

« Alors ? »

— On a gagné, c’est incroyable !

Mais la méfiance revient vite. Ici, dans cette région on a appris depuis toujours à ne pas trop s’enthousiasmer, à ne pas le montrer.

— C’est trop beau. Attention parce qu’il ne faut pas que ça retombe. Si sa solution ça marche pas, il faut qu’on puisse retrouver le licenciement économique parce que là, on va perdre le CSP (dispositif de reclassement).

— Oui, il faut attendre d’avoir des courriers écrits. Tant que ce n’est pas dans ma boîte à lettre, j’y crois pas. Oui, il faut attendre que ce soit fait.

— C’est trop beau, ça va retomber.

— Oui mais ça fait rien. C’est génial. On a de la chance que ce soient les élections. Parce que sans les élections, on n’aurait rien gagné.

— Mais qu’est-ce qu’il se passe si on n’est pas capables de s’adapter ?

— Mais si, tu vas y arriver.

— Et puis y’a les autres, celles de Rillieux. Qu’est-ce qu’il va se passer pour elles ?

Et pendant le reste de l’après-midi, chacune oscille entre bonheur, incrédulité, méfiance. Finalement, tout le monde est d’accord pour revenir le lendemain matin, et se retrouver toutes ensembles, encore, et continuer jusqu’à ce qu’elles aient fini les négociations. La manif de demain est maintenue. «De toute façon, il faut se montrer en ville, parce que c’est incroyable ce qu’il s’est passé.»

Ce qu’il s’est passé ? C’est que toute la petite ville d’Yssingeaux s’est mobilisée. Chaque jour, les cadeaux affluent: gâteaux, saucissons, bonbons, fromage, boisson. Un jour, il y a même quelqu’un qui a envoyé des roses, une pour chacune. Sur les vitrines, des affichettes sont visibles en solidarité. Et aujourd’hui, les habitants solidaires ont fait imprimer un petit flyer pour les voitures. Et cette solidarité est quelque chose d’énorme, d’incroyable.

Alors oui, on se retrouve demain.

21 – Lejaby- Il faut y croire

Michele Blumental

22 – Lejaby-Jacqueline et Bernadette-desktop

Michele Blumental

Rédigé le 01/02/2012 à 22:56

Commentaires

C’était une belle manif que nous avons partagée ce matin avec les Lejaby,malgré le froid mordant.La visite de l’usine avec les porRtaits des filles ne laissait pas sans un brin d’émotion.En core bravo et merci pour toute la classe ouvrière.Ne lâchez rien.
Rédigé par : jean yves | 02/02/2012 à 14:07
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Bonjour Michèle Blumental,
Pouvez-vous m’envoyer un mail à capian2@yahoo.fr ? Je suis une consœur. Bien à vous, Claudine Colozzi
Rédigé par : Claudine Colozzi | 03/02/2012 à 14:11
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Oui une belle manif. Enfin une manif de victoire et de remerciements. Après toutes ces années à faire dees manif qui n’étaient pas entendus.
Venez nombreux demain.
Rédigé par : Michèle | 03/02/2012 à 16:37

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02/02/2012

Il faut réparer les dégâts

Jeudi, 10h30. Moins 10 degrés. La neige, la neige, la neige, depuis 3 jours.

Ça s’agite dans l’usine. Toutes les filles sont là, et des copains de toute la Haute-Loire, des délégations syndicales (santé, territoriaux, et autres), les associations de soutien, des anciennes de l’usine. On part en manif. Mais une manif un peu spéciale. Une manif de victoire, une manif de remerciements pour les habitants et les commerçants de la ville.

«La solidarité nous a aidés à gagner».

Et puis en rentrant « chez nous », les pieds glacés, les visages en feu, on allume la télé, et tout le monde se rassemble autour du poste pour écouter la déclaration du ministre, Laurent Wauquiez. Il se félicite, il félicite le Président. Les filles rappellent que c’est d’abord leur action qui a mobilisé. C’est grâce à ce qu’elles ont fait, et surtout elles rappellent que c’est parce qu’elles ont été unies, et toujours ensemble, qu’elles ont gagné.

Elles disent «Ils (le président et le ministre) ont fait leur travail. Ils sont élus, c’est normal, ce qu’ils ont fait.»

Si c’était si simple, pourquoi il n’est pas intervenu avant, pour empêcher la vente de la marque et de l’entreprise. Il faut rappeler qu’entre la mise en redressement et la liquidation il n’y a eu qu’un mois, alors qu’un délais de 6 mois avait été décidé par le tribunal. Dans un texte qu’elles ont rédigé et distribué ce matin dans toute la ville, elles rappellent qu’elles demandent «aujourd’hui, aux pouvoirs publics d’agir pour réparer les dégâts des licenciements des autres sites de Lejaby, à Rillieux-la-Pape, Bellegarde, Bourg-en-Bresse et le Teil. En moins de 18 mois, 450 emplois ont été supprimés à Lejaby. Avec la reprise d’Yssingeaux, il reste encore 350 emplois à sauver».

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23 – Jacqueline, déléguée syndicale CGC

Michele Blumental

Rédigé le 02/02/2012 à 12:54

Commentaires

C’était une belle manif que nous avons partagée ce matin avec les Lejaby,malgré le froid mordant.La visite de l’usine avec les porRtaits des filles ne laissait pas sans un brin d’émotion.En core bravo et merci pour toute la classe ouvrière.Ne lâchez rien.
Rédigé par : jean yves | 02/02/2012 à 14:07
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Bonjour Michèle Blumental,
Pouvez-vous m’envoyer un mail à capian2@yahoo.fr ? Je suis une consœur. Bien à vous, Claudine Colozzi
Rédigé par : Claudine Colozzi | 03/02/2012 à 14:11
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Oui une belle manif. Enfin une manif de victoire et de remerciements. Après toutes ces années à faire dees manif qui n’étaient pas entendus.
Venez nombreux demain.
Rédigé par : Michèle | 03/02/2012 à 16:37
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03/02/2012

Une page se tourne

Vendredi, 9h. Le thermomètre a atteint les moins 12 à moins 15 degrés. Froid sec qui nous glace la gorge.

Comme chaque matin, les filles sont là. Pour la première fois, il y a des absentes, des retardataires. Certaines parce qu’elles sont fatiguées, d’autres à cause de la neige. L’AG est retardée parce que les déléguées et les représentantes du CE sont en réunion. Elles vont monter à Paris. Elles doivent rencontrer le Président. Je leur demande si elles sont intimidées, si elles ont le trac. «Non, pas du tout. On lui dira ce qu’on a à lui dire, c’est tout».

— De quoi vous avez envie de lui parler ?

— De la reprise, et aussi des filles qui restent sur le carreau. Puisqu’il y a des projets qui sont arrivés. Donc il faut que ça se fasse pour les autres, ou pour d’autres dans le textile.

L’AG sert à faire le point sur ce qui va se dire, et aussi préparer la journée de demain, la journée portes-ouvertes. Tout le monde est d’avis qu’il faut la maintenir, qu’il faut faire visiter l’usine, même si elle va disparaître.

Certaines me disent que c’est un monde qui va disparaître, et qu’il faut le montrer. Dès la fin de l’AG, tout le monde s’active. Installer les tables, faire des panneaux d’explication, de présentation. En l’espace de 2 heures, l’usine est transformée en un lieu d’accueil. Avec ce qui reste des dons de solidarité, elles vont pouvoir offrir des boissons, du café aux visiteurs. Les Restos du Cœur leur ont offert un carton de café, thé, sucre. On le sort. Elles sont fières de faire visiter leur usine.

14h. Dans l’usine tout est prêt. Nous avons quelques minutes pour parler, en cercle, au milieu de l’atelier, la conversation tourne autour de ce qui va rester, de comment elles vont en ressortir. De comment les relations se sont consolidées, ou nouées. Ici, les filles fonctionnaient par équipe, par groupe. Elles ne savent pas toujours ce qui se passe d’une équipe à l’autre, d’un groupe à l’autre. Je suis surprise d’entendre des filles demander à Jacqueline où était son bureau. Elle aussi est surprise. En fait, le nez dans la production, elles n’avaient pas le temps de suivre ce qui se passe dans un autre groupe. Elles doivent se préparer à partir. On parle de la prochaine AG. Des choses qui restent à faire, à dire. Que ça ne suffira pas de se voir une fois par semaine. Il faudrait se voir tous les 2 jours, et puis on ne va pas pouvoir rester seules, rester à la maison. On parle aussi des maris. Je leur demande ce qu’en pense leurs maris. Ah là, c’est une autre histoire. Certains s’intéressent. Mais dans l’ensemble, c’est plutôt «C’est ton histoire. Tu as raison mais c’est ta vie». Elles me racontent que de toute façon, le soir, il faut assurer, préparer à manger, comme d’habitude, que la maison soit bien rangée. Toutes doivent faire en sorte que rien ne change à la maison. Certains maris sont venus. Mais pas tous. Celles qui sont proches de la retraite me disent qu’elles sont contentes que ça reparte, parce qu’elles n’auraient pas supporté de rester toute la journée à la maison, en tête-à-tête avec leur mari.

— Pourquoi, ça ne se passe pas bien avec eux?

— Si mais c’est bien d’avoir sa vie, d’avoir son jardin secret, comme on dit.

— Oui, oui, elles approuvent.

Elles sont invitées à visiter une école de pâtisserie. Elles partent. Nous restons 3 dans l’usine. Enfin du silence. Le bâtiment est bruyant. Chaque voix, chaque mouvement résonne. Dès qu’on entre, on est surpris du bruit. D’un bout à l’autre de l’atelier, on entend le moindre bruit de pas, de voix. Les rires prennent des allures de cris. Dans les AG ou les réunions, dès qu’il y a 2 ou 3 personnes qui parlent, c’est un brouhaha inaudible.

Depuis deux semaines que nous vivons ici, même si chacun rentre chez soi le soir, nous avons pris l’habitude de parler chacun son tour et distinctement. Je sais maintenant comment parler dans ce lieu, ici.

15h. J’interview encore une fois Mehni. Depuis que j’occupe son bureau, je n’avais pas eu le temps de refaire des images avec lui. Cette fois avec la caméra il me fait faire le tour de l’usine, et me décrit chaque machine, chaque pièce. Il les connaît par cœur. Il sait ce qu’il a réparé ou modifié sur chacune. Il parle vite, il montre vite. Je n’ai pas le temps de le suivre, de régler la caméra. Il s’ennuie de ses machines. Il s’ennuie de tout ce travail, de cette précision.

Dans l’usine quasi déserte, je fais encore quelques images. Un soleil radieux se lève et illumine toute l’usine.

Une page se tourne ce soir.

Ce jour était le 12e jour d’occupation.

Rédigé le 03/02/2012 à 16:56

Commentaires

Bizarre la disproportion d’intervention et de réaction pour sauver les Lejaby et pour sauver les TELEPERFORMANCE (licenciés par centaines (illégalement depuis des années par des arrangements maquillés en licenciements pour faute, et (parallèlement) depuis 1 an par un Plan social, et cela alors même que TELEPERFORMANCE a touché des aides de l’Etat et des collectivités locales pendant des années pour créer des emplois !!!! et que l’entrerprise (paallèlement) accentue ses délocalisations !!! Pourtant comme pour LEJABY,l’Elysée et les ministères ont été saisi du dossier depuis 2 ans!
Rédigé par : Vlado | 03/02/2012 à 17:32
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L’Elysée a récupéré cette affaire LEJABY de façon totalement amorale…
tout en ignorant et laissant tomber l’autre usine de LEJABY dans les alpes…
Bravo l’Union pour Mes Potes (les Riches) et sarko ; aucune honte !

SARKO DEGAGE !
Rédigé par : lugjlg | 03/02/2012 à 18:53
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Qu’elles ne se fassent pas d’illusions, il va les manger tout cru car il ne les reçoit que pour se faire réélire
Cynisme sans borne.
Rédigé par : PMB | 03/02/2012 à 18:57
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moi je pense aux ouvrières de lejaby ,maman mère de famille jeunes ,faut pas crachée dans la soupe ,mais il faut reconnaître que l’affaire est litigieuse ,et surtout ne le souhaites pas,rapellez vous grangrange,pour avoir un fauteuil d’un coup de baguette magique ,voila la solution ,bizarre vous avez dit bizarre?en parallèle ,ont découvre des figurants lors de sa visite du batiment ,et que voulez vous qu’ils fassent et disent,ils sont pris a la gorge.LEURS SEUl droit et celui la vous est propre et incontournable,votre bulletin dans l’urne en mai 2012,sa par contre ils le savent .ET ENCORE de tout coeur avec les salariées de lejaby
Rédigé par : JEAN JACQUES | 03/02/2012 à 19:00
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Mème en hiver, les yssingelais n’ont pas froid aux yeux.
Rédigé par : HECTOR VIGO | 03/02/2012 à 19:05
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Les « Lejaby », les « filles » !
Mais de qui parle-t-on ainsi ? Donc si je travaille à Rhône Poulenc, je suis un « RhônePoulenc » ? Et si de surcroît, je suis une femme, et que je suis ouvrière, on m’appellera une « fille » ?
Pourquoi ces assimilations abusives ? C’est de la culture d’entreprise ça ?
Rédigé par : Phil | 03/02/2012 à 19:07
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Bernard Arnault, Bernard Arnault ne serait ce pas ce déserteur fiscal, réfugié aux USA après la victoire de François Mitterrand, ne serait ce pas celui marié et divorcé d’avec la nouvelle épouse de Patrice de Maistre, soupçonné d’avoir permis à mamie zinzin d’échapper pour 14 milliards d’euros à l’impôt ? Ne serait ce pas celui qui était témoin de mariage du ci devant Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa, ne serait ce pas l’un de la bande du Fouquet’s ? Ce n’est pas lui tout de même. Si c’est lui, je serais des LEJABY, je me méfierais.
Rédigé par : PAUHL | 03/02/2012 à 19:10
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BRAVO A VOUS 
MEFIANCE AVEC CES POLITIQUES!
C’EST VOTRE VICTOIRE.
VOUS ETES DES PROS EN CONFECTION ET VOUS ALLEZ ETRE DES PROS
DANS LE CUIR
Rédigé par : AM CHAMBLAS | 04/02/2012 à 08:44
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Merci à Michèle Blue pour tout le boulot que tu as fais pour faire connaitre et vivre ensemble la lutte des filles de Lejaby.
Rédigé par : jean yves | 04/02/2012 à 22:16
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Superbe travail de michèle B.
Les filles de Lejaby sont peut être le début de la révolte
contre la délocalisation.Vive le made in FRANCE!!!!
Rédigé par : Dany | 04/02/2012 à 22:32
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bravo pour votre combat votre solidarité a porté
ses fruits votre nouveau travail ne sera que du 
bonheur et une nouvelle profession toujours utile respectons tous le tavail manuel c’est une tres
grande richesse d’avoir des mains en or 
une ex lejaby de rillieux
Rédigé par : moana | 06/02/2012 à 10:15
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coucou Michelle ton boulot est fantastique, peut -être que tu sera la pionnaire de la prise de conscience des politiques : notre territoire a des joyaux qu’il ne faut pas mettre au placard des ouvrières ( les filles) oui c’est ainsi que nous nous parlons qui ont de l’or dans les doigts alors vive le fabriqué en France.
pourquoi ces financiers qui n’ont que le coût du travail en parlant des filles n’ont pas le même discours en parlant de leur rémunération: c’est pas un coût peut être.Non c’est de la pensée unique alors vive les courageux qui oseront penser autrement, fini les prises de tête laissons place à l’imaginaire en terme de production
Rédigé par : nicole | 14/02/2012 à 21:12
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05/02/2012

Une escale et la croisière continue

Samedi, 13h. La température frise les moins 20 degrés. A certains endroits, le thermomètre a atteint moins 23. Soleil et vent du nord, on l’appelle la « burle ».

Pour accueillir les visiteurs, elles remettent leur blouse, rose pour la plupart. L’école de pâtisserie doit apporter des gâteaux. Toutes sont là, certaines avec leur mari, ou leurs enfants, leurs petits enfants. Chacune connaît sa place, l’accueil, le bar, la visite. Et puis surtout, elles doivent rallumer les machines.  « On va montrer une usine vivante. »

15h. Les premiers visiteurs arrivent. Elles se mettent aux machines. En quelques minutes, l’usine est envahie. Une foule compacte se presse. Tous ceux que l’on a vus se succéder pour témoigner de leur soutien sont là. Commerçants, syndicats, partis politiques, élus, familles, associations. Et au milieu de cette foule compacte, le ministre, Laurent Wauquiez, circule. Il se met à la machine, tente de coudre une pièce. Le repreneur, Vincent Rabérin, est là aussi. Il discute avec les femmes, regarde tout.

Peut-être 2000 personnes sont venues dans ce froid glacial. Certains me parlent d’autres « boîtes » qui se sont battues un jour ou un autre. On reparle de Fontanille, d’Elastelle, « Tu te souviens l’occupation, en 74? » « Et les tanneries. » « Ah ! oui, la course avec les CRS ! » «  Et puis telle autre boîte qui a fermé, ici à Yssingeaux. » Oui, oui, on se souvient. On se souvient que depuis 40 ans, l’histoire du département, c’est l’histoire des départs, des boîtes qui ferment, des luttes qui ne sont pas entendues. Une joyeuse fraternité règne ici, mêlée d’un respect presque palpable. Chacun parcourt les allées en scrutant tout, chaque machine, chaque détail est commenté. Cette victoire, c’est un peu leur revanche à tous. On dit « elles resteront dans l’histoire », « elles seront un exemple, pour la solidarité ». Certains me disent « tu vois, ça existe les classes sociales. Cette histoire nous rappelle que ça existe encore. Rien n’a changé. Il y a toujours une lutte des classes ».

Les « filles », les femmes de Lejaby sont très concentrées sur leur tâche. Elles s’activent, elles répondent aux questions, calmement, patiemment. Leurs familles, leurs maris sont derrière elles, les suivent, mais ne veulent pas commenter. « Oui bien sûr, c’est formidable. »

On parle beaucoup des autres ateliers de Lejaby, à Rillieux, à Bourg-en-Bresse, à Bellegarde, au Teil. On ne veut pas faire comme si tout allait bien. En tout il y a eu 450 licenciements, et la reprise de 93 d’entre elles ne dédouanera personne.

18h. Raymond regroupe les filles autour de lui. Un dernier rassemblement pour se féliciter, s’embrasser, se donner les prochains rendez-vous. « Tant que ce n’est pas signé, rien n’est joué. »

19h. En un tour de main tout est rangé, nettoyé. Aucune trace des 2000 personnes qui sont passées aujourd’hui.

C’est comme une escale d’une croisière. Chacun quitte le bateau. A partir de la semaine prochaine une nouvelle étape commence, et elles savent qu’il faudra encore se battre. Pour elles, pour les autres.

Rédigé le 05/02/2012 à 12:53

Commentaires

aujourd’hui on rachéte votre or oui lejaby etaitun
tres beau bijou palmers l’a bradé pour un euro !..
j’habite en haute loire depuis ma retraite mais j’ai
travaillé à rillieux la pape
Rédigé par : moana | 05/02/2012 à 16:32
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Bonjour « les filles » ! 
J’ai suivi votre lutte depuis le début,à distance parce que je suis en Espagne, mais j’ai lu tous les articles de journaux, regardé toutes les vidéos sur internet vous concernant, votre combat est admirable ! 
Bravo ! C’est beau et c’est aussi encourageant. Dans un monde où l’argent l’emporte sur l’humain, vous avez montré qu’il était possible de dépasser cette sale idée et tout ça grâce à votre solidarité, votre dynamisme et votre organisation !
Margaux Ouillon (la fille de votre collègue, Isabel)
Rédigé par : Margaux | 05/02/2012 à 17:10
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Bravo aux salarié(e)s de Lejaby.
Chacun et chacun a su se mobiliser pour refuser cette fatalité à laquelle le système libéral veut nous faire croire. Leur lutte a payé mais elles pensent encore à leurs collègues des différents sites Lejaby. Il ne faut rien lacher, c’est par les urnes et par les luttes que réussira la révolution citoyenne.
Rédigé par : Yves | 07/02/2012 à 08:31
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Bravo a nous.Maintenant il faut continuer notre combat car tout est loin d’etre fini pour certaines de nos collègues. Christiane Grand.
Rédigé par : Christiane | 08/02/2012 à 08:57
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Un combat peut en cacher un autre

Mardi, 10h. Moins 20 degrés. Vent glacial. Soleil. Les volcans alentours ressemblent à de grosses meringues.

Après un dimanche au ralenti pour la plupart d’entre elles, et un lundi à faire le bilan, à discuter avec les filles des autres sites, elles reviennent. Et comme d’habitude, elles sont toutes là, ainsi que les trois hommes. Toujous attentives, toujours concentrées. Les tensions des premiers jours ont disparu. Maintenant, je ne crains plus de faire monter l’émotion à chaque question. Je leur demande si les choses ont changé, si elles se sentent différentes. Elles me disent que maintenant, elles sont plus fortes. Ce n’est pas seulement d’avoir gagné, mais de s’être battues. Elles me parlent des médias, des journalistes. Elles ont appris à répondre. Quand je leur explique que je vais monter, couper, elles savent exactement ce que je veux dire, et comment me répondre.

Pendant l’AG, elles discutent de droit du travail, de ce qu’elles vont perdre ou gagner avec les nouvelles conventions collectives. De ce qu’il faut défendre. Et on parle beaucoup des autres sites. A Bellegarde, au Teil, à Bourg-en-Bresse, «les « supra-légales » n’ont jamais été payées, alors, ici, il faut faire attention». Une manifestation a été décidée, à Lyon, pour jeudi prochain, pour défendre les autres licenciées, et pour demander que les repreneurs qui se sont présentés pour le site d’Yssingeaux se reportent sur les autres sites. Il faut s’inscrire sur une liste pour organiser les déplacements: 80 personnes se sont inscrites.

Jacqueline regarde l’atelier et me dit «elle est belle, quand même notre usine».

7 fév 2012 17:51:23

3 Commentaires

Continuez à communiquer sur votre situation et celles de vos collègues. Le combat d’Yssingeaux est significatif du sens donné au combat et des solutions possibles….On peut!
Rédigé par : Yves | 08/02/2012 à 15h16
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Bonjour les filles !
Comme chaque fois que je lis un article sur votre action je suis emue car vous etes plus q un exemple, un espoir. et aussi la preuve que des femmes, souvent meprisees dans notre societe, sont combatives et solidaires et agissantes.
vous vous etes battues avec courage et dignite, force et conviction mais depuis le temps que je connais la plupart d entre vous ca ne me surprends pas !
je viendrai vous voir des que possible et d ici la vous souhaite encore du courage et vous embrasse bien fort !
Myriam (la fille de Christiane Chaussinand)
Rédigé par : Myriam Chaussinand | 09/02/2012 à 04h58
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dommage que les filles qui portent les soutien-gorges sur la photo de votre page n’aient pas réussi à sauver leurs emplois car elles aussi, elles se sont battues becs et ongles pour garder leurs emplois en FRANCE mais voilà, les élections presidentielles étaient encore loin et leur combat n’interressait aucun politique!!!…et elles n’avaient pas la chance d’avoir un ministre comme voisin!résultat: au nom du profit pour des actionnaires 200 licenciements en 2010, emplois délocalisés à l’étranger , le printemps arabe est passé par là et LEJABY a bouffé la culotte…et liquidation judiciaire et re-plan sociale sauf que les indemnités du plan de 2010 ne sont encore pas toutes versées aux personnes licenciées!
mais écoutez notre président:achetez du made in france (marque française fabriquée à l’étranger)
une ex-lejaby
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Courir pour ne pas y croire

Ce jeudi, le rendez-vous était à Lyon, devant la Préfecture, avec les collègues des autres sites. On embarque à Yssingeaux, petit détour pour prendre des filles à Monistrol, à Firminy, puis l’autoroute. Sur 93 salariés, 75 viennent. Lyon c’est un autre monde. La ville, bien sûr, la police devant la Préfecture, les gens indifférents qui ne prêtent pas attention au groupe qui se dirige vers la Préfecture.

Elles retrouvent les collègues des autres ateliers. Je fais connaissance avec les filles du Teil et de Rillieux. Noëlle me raconte comment en 15 minutes, elle et 18 autres filles ont été licenciées. Elle me dit «Quarante ans de boîte, toute une vie, et en 15 minutes c’est terminé. Quand on m’a dit ça moi j’ai eu envie de courir, je me suis mise à courir… Je suis partie en courant».

Elles me disent «On a la rage. On s’est battues, on a occupé les usines, on a campé, et parce qu’il n’y a pas de ministre, on nous a oubliées. »

— Pourtant en Ardèche, on a aussi un ministre, mais en fait il s’en fout. Ça ne l’intéresse pas.

— Oui, c’est vraiment une question politique.

— En 10 ans, l’Ardèche a perdu 10 000 emplois. Et beaucoup d’emplois sont devenus des emplois de service, du tertiaire, me dit Gérard. L’Ardèche aussi est sinistrée.

Aujourd’hui, l’idée est de pousser les pouvoirs publics à soutenir les autres repreneurs comme ils ont soutenu le projet porté par L. Wauquiez. Une délégation est reçue par une assistante du Préfet.

Elles me disent que la présence des filles d’Yssingeaux les remotive pour continuer à se battre. «Si elles y sont arrivées, peut-être qu’on pourrait aussi».

Celles d’Yssingeaux se sont regroupées et ensemble, elles chantent «leurs» chansons. Jacqueline en deux-trois gestes a rassemblé tout le monde autour d’elle et a donné le top. Et comme d’habitude, toutes ensemble, elles chantent.

10 fév 2012 12:18:37

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Entre feu de bois et high-tech

Dimanche, 14h. Après deux jours de neige et de froid polaire, le soleil fait son apparition.

La vie est devenue très compliquée avec le froid. Ce qui est habituellement une routine coutumière devient une corvée épuisante. Pour chauffer la maison, il faut rentrer du bois, et donc s’habiller, mettre le bonnet, les gants, ramener quelques bûches, enlever les gants, les bottes, le bonnet. L’eau n’arrive plus. Il faut donc aller chez des voisins qui ont encore de l’eau et transporter des seaux, chaque jour. Et donc remettre les bottes, les gants, le bonnet, puis revenir avec la précieuse eau, enlever les bottes, les gants, le bonnet. Puis démarrer la voiture, même si on n’a pas besoin de se déplacer. La chauffer, gratter la glace, et de nouveau enlever les bottes, les gants, le bonnet. Aujourd’hui, après 3 jours sans avoir aperçu le ciel, le soleil illumine la neige et nous fait cligner des yeux. Et il faut surtout continuer le travail, la vie, les films.

Depuis jeudi, nous essayons d’organiser avec quelques représentantes des divers sites un voyage à Paris. Elles sont invitées à une rencontre avec le Front de Gauche, et donc Jean-Luc Mélenchon, au local de la campagne électorale (aux Lilas, dans le 93) pour une «rencontre», débat, avec d’autres femmes d’entreprises en lutte (Sodimedical, Paru Vendu, Caissières d’Albertville, 3 Suisses).

Les «Lejaby» sont dispersées. Entre Le Teil, Bellegarde, Rillieux et la Haute-Loire, il est difficile d’organiser le voyage. Ce ne sont pas les mêmes départements et pas les mêmes lignes SNCF. Je téléphone à Nicole, qui téléphone à Janine, qui téléphone à Brigitte, qui téléphone à Arlette, qui téléphone à Christine, qui retéléphone à Arlette, qui retéléphone à… Qui viendra ? Certaines sont découragées. Elles me disent «A quoi bon ? C’est trop tard maintenant.» D’autres craignent ce voyage à Paris. D’autres ont peur de ne pas être à la hauteur. Trop de bouleversements d’un coup.

Finalement, ça y est les billets sont réservés. Ce sont donc Brigitte, Messaouda et Janine, qui «monteront» à Paris. Encore quelques détails à régler et tout est prêt.

Il faut maintenant reprendre le téléphone et prévenir toutes les filles de la retransmission. Prévenir tous ceux qui les ont soutenus. Envoyer des mails, des SMS. Je passe un moment à manipuler, des numéros, des adresses mails, des claviers, des écrans.

Un frisson me rappelle qu’il est temps de remettre des bûches dans la cheminée. Je me tourne vers le tas informe et colorés des gants et des bonnets…

12 fév 2012 10:36:00

3 Commentaires

Bravo encore et courage dans le froid polaire… J’en ai les larmes aux yeux à suivre le fil de cette aventure vitale (laissée juste avant le rebondissement Vuitton). C’est émouvant et encourageant, l’élargissement du champ de la lutte, rencontrer d’autres groupes et faire connaître comment d’autres communautés prennent leur destin en main. 
Bonne inspiration, chaleureuses et solidaires pensées
Myriam
Rédigé par : myriam | 13/02/2012 à 18h06
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vous êtes toute formidable 
votre combat est remarquable et la solidarité entre
vous est exemplaire
nous devons produire en france seulement il faut un 
president qui aime la France et surtout tous les
Français aujourd’hui il faut des actes les « promesses » stop!
Rédigé par : moana | 14/02/2012 à 10h31
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Dimanche bien au chaud dans mon canapé,mes pensées m’ont emmenées vers ces filles qui partagent mon quotidien depuis 10ans. Alors quelques lignes sont apparues sur un bout de papier,témoignage de mon ressenti,aprés ces semaines de combat.
VOUS LES FILLES
J’ai vu vos larmes couler,
vos visages se fermer.
J’ai sentie mon désarroi,
J’ai ressentie votre désespoir.
Fallait-il accepter cette fatalitée,
se taire et s’en aller.
NON,il ne pouvait en être ainsi,
cette histoire n’était pas finie.
MOBILISATION,COURAGE ET SOLIDARITE
Ont permis de gagner,le droit de retravailler.
J’ai vu vos yeux s’illuminés,
Vos visages s’éclairés.
J’ai sentie un soulagement,
J’ai ressentie votre appaisement.
ALORS MERCI,C’est une belle leçon de VIE
Cathie
Rédigé par : cathie | 15/02/2012 à 15h31

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Vous les filles

  • Par Cathie

Dimanche bien au chaud dans mon canapé, mes pensées m’ont emmenées vers ces filles qui partagent mon quotidien depuis 10 ans. Alors quelques lignes sont apparues sur un bout de papier, témoignage de mon ressenti, après ces semaines de combat.

VOUS LES FILLES

J’ai vu vos larmes couler,
vos visages se fermer.
J’ai senti mon désarroi,
J’ai ressenti votre désespoir.
Fallait-il accepter cette fatalité,
Se taire et s’en aller.
NON, il ne pouvait en être ainsi,
Cette histoire n’était pas finie.

Mobilisation, courage et solidarité
Ont permis de gagner le droit de retravailler.
J’ai vu vos yeux s’illuminer,
Vos visages s’éclairer.
J’ai senti un soulagement,
J’ai ressenti votre apaisement.

Alors merci, C’est une belle leçon de vie

15 fév 2012 08:42:00

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Femmes en lutte ou lutte de femmes

Lundi, 5h, le matin. Lyon. Temps doux et sec. Je n’ai plus l’habitude des nuits illuminées de réverbères.

Par crainte du froid (la météo annonce moins 20 degrés pour la nuit), la veille, j’ai rejoint Janine (Lejaby de Rillieux-la-Pape) à Lyon, dormi chez elle, et nous partons ce matin prendre le train pour rejoindre le local de campagne du Front de Gauche, à Paris, où est organisée une rencontre-débat avec d’autres femmes d’entreprises en lutte (Sodimedical, Paru Vendu, Caissières d’Albertville, 3 Suisses).

Paris a fait peur à quelques-unes qui ont renoncé à venir, ne se sentant pas de taille à «affronter» la capitale, le métro. La traversée de la ville se passe sans problème et nous permet de faire connaissance avec Pascale Le Neouannic (élue Front de Gauche au Conseil Régional d’Ile-de-France) qui est venue nous chercher à la gare.

Nous arrivons avec excitation et appréhension à l’«Usine» (le local du front de gauche qui se situe aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, 93). Je rencontre enfin Laurence (une responsable de la campagne de Mélenchon) avec qui nous avons passé des heures au téléphone et échangé des dizaines de SMS.

Tout le monde est intimidé, mais l’équipe de Paris nous détend rapidement. La réunion d’aujourd’hui est particulière. Comme le rappelle Jean-Luc Mélenchon, cela fait des années qu’il n’y a pas eu de rencontre de femmes en lutte, d’entreprises aussi diversifiées et des quatre coins de la France. La députée Martine Billard rappelle en rigolant «Peut-être pas depuis les années 70. Ça ne nous rajeunit pas!».

16 fév 2012 15:39:30

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Les oubliées de Lejaby

Jeudi, 16h. Le temps se radoucit enfin. La température remonte aux alentours de moins 2 degrés.

Un jour important pour les filles. C’est aujourd’hui la première vraie rencontre avec leur futur nouveau patron. Vincent Rabérin est là pour rencontrer les déléguées. Pas de journalistes, pas de presse, pas de télé. Officiellement tout est joué pourtant, loin des spots, loin des shows, c’est aujourd’hui que les négociations commencent, aujourd’hui que l’avenir se joue.

L’après-midi a commencé par une réunion avec l’administrateur judiciaire, le « liquidateur ». De cette première réunion rien ne filtre. Nous n’auront pas droit à une déclaration, ni un bilan.

Rabérin a attendu patiemment dans un bureau, avec ses avocats et son assistante, que le liquidateur lui laisse la place. J’en profite pour échanger quelques mots. Il ne veut pas d’interview, pas de déclaration aujourd’hui. Je lui rappelle qu’il m’a promis un rendez-vous. « Vous savez, c’est une première, pour moi. Je n’ai pas l’habitude de ces situations. Je n’ai pas l’habitude des médias, de la presse. Alors je vous recevrai mais plus tard. » Il est tendu, inquiet. Il a le trac d’un jeune showman.

Les filles, elles, sont plus calmes. Raymond Vacheron, responsable syndical textile, CGT, est tranquille, détendu. Il sait exactement ce qu’il doit défendre. Il me dit que ce sont les filles qui doivent se défendre, mais il a confiance en elles. « Elles sont assez fortes », me dit-il.

La réunion se tiendra dans la cantine. On dispose les tables, on rapproche les chaises. Le temps pour nous de faire quelques images.

La réunion devait durer une heure, mais voici 2 heures qu’ils sont dans la cantine, et il semble bien que cela doit durer encore un moment.

Du hall où nous attendons, rien ne filtre sinon quelques bribes quand le son monte. Parfois quelques rires. Je dis: « C’est plutôt bon signe. Il n’y a pas d’éclats de voix. Donc la discussion doit être cordiale ».

Pendant ce temps, à Annecy, les filles de Bellegarde devaient manifester au meeting de Nicolas Sarkozy. Je téléphone à Brigitte qui me raconte comment, à une dizaine, elles ont bloqué la route, déployé une banderole « Les oubliées de Lejaby », obligé les cars à s’arrêter et les gens venus pour le meeting à aller à pied « environ une demie heure de marche », dit-elle. Elle me raconte comment d’autres manifestants venus pour diverses raisons se sont joints à elles et ont crié avec elles « Lejaby, c’est pas fini. Sarko tu dis des conneries ». Elle me dit que des gens se sont arrêtés et ont voulu savoir, « puisque Sarkozy a dit que c’était fini… ». Et comment là, sur la route, ça s’est transformé en meeting autour d’elles. « Les gens voulaient savoir, et posaient des questions ».

« Ah ! Vraiment une belle manif. A dix, on a réussi à bloquer, et vraiment à f… la m… ».

J’entends au téléphone le rire des filles autour d’elle, qui se remémorent les anecdotes.

16 fév 2012 19:22:43

3 Commentaires

de la réunion il en est sorti que l’on conserve la mutuelle le 13 mois
Rédigé par : annie | 18/02/2012 à 09h40
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L’ouvrage dédié au ouvrières et ouvriers de Lejaby paraîtra lundi 20/02/12..
La totalité des ventes de ce livre (hors imprimerie, TVA, port) sera reversée au « collectif Lejaby »
Rédigé par : editions du roure | 18/02/2012 à 11h03
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Michele as tu des nouvelles de RILLIEUX J’ai CRU COMPRENDRE Qu’Alain PROST avait DE TRES BONNES NOUVELLES a leur annoncer ça serait formidable pour elles
Rédigé par : annie | 22/02/2012 à 11h35
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Le temps du droit

Mardi 28, 9h30. Soleil éblouissant. Douceur des températures. Le printemps est arrivé d’un coup sur la région, nous faisant oublier les froids polaires de la semaine passée.

Ce matin l’usine est fermée. Du moins l’atelier. Seule la cantine est accessible. On nous dit que le nouveau patron veut préserver le «secret professionnel» pour son client, Vuitton. On nous dit qu’il ne veut plus de caméra et d’appareils photo.

Alors comme des élèves bien sages, elles ont disposé les tables dans la cantine et écoutent Bernadette qui commente le nouveau contrat de travail. Ce matin c’est le «temps du droit». Il faut commenter, expliquer, article par article. Finalement, ce qui semblait acquis facilement lors de la négociation, a été oublié dans le contrat, comme le 13e mois, qui en principe n’existe pas dans la convention «cuir», ou la mutuelle qu’elles avaient gagné lors de précédentes négociations avec Lejaby, ou la période d’essai: doit-elle être comptée avant la formation ou après?

Puis vient le temps de la pause. On commente encore, on discute, on s’angoisse. Certaines hésitent sur la façon d’interpréter certains textes. Jacqueline est inquiète et dit qu’elle ne signera qu’après s’être renseignée auprès de l’Inspection du Travail.

Dans un coin, quelques-unes se regroupent. Dany dit : «Ce nouveau nom, les ateliers du Meygal, ça ne me plait pas. On n’est pas un atelier de champignons.» Elle fait allusion au nom régional choisi pour le nouvel atelier «Les Ateliers du Meygal».

«J’espère qu’on va commencer l’aventure toutes unies, comme on a été pendant la lutte.»

— Je vous sens inquiètes.

— C’est l’inconnu. On a toujours vécu dans les tissus, dans le chiffon.

— On est plus soucieuses qu’à 17 ans. Moi j’étais une gamine quand je suis rentrée, dit Chantal.

— Moi je laisse venir, dit Monique.

— De toute façon, ce qu’on faisait c’était déjà au minimum. Ça ne peut pas être pire, dit Marie-Lou. Peut-être au niveau discipline…

— Faut voir dans 6 mois, ajoute Dany.

— Moi, c’est ce contrat. Avant ce n’était pas écrit. C’est le fait que même si c’était pas écrit quelque part, on l’avait, dit Chantal.

— Avec Lejaby, on ne s’est jamais fait de souci. Ils ne se seraient pas mouillés à faire de l’illégal. Maintenant il n’y a pas de CE. Quand il n’y a pas de CE, je ne sais pas comment ça va se passer.

— Moi, je ne me fais pas de soucis pour nous, mais je me fais du souci parce que c’est un petit patron.

Aujourd’hui, c’est la dernière assemblée avant la reprise. Elles se reverront dans un nouveau cadre, une nouvelle ambiance, une nouvelle entreprise. Peut-être une nouvelle vie.

29 fév 2012 11:23:00

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C’est la rentrée

Jeudi 1er mars, 8 h. Soleil printanier.

C’est la rentrée. Elles entrent à l’usine comme pour une rentrée des classes. Un petit coup d’œil au passage, mais pas le temps de discuter.

Les stores sont baissés et aucune ouverture ne nous permet d’apercevoir l’intérieur.

12h. La coupure de midi nous permet enfin de retrouver les filles, et d’avoir leurs premières impressions.

Certaines traversent le parking rapidement et en baissant la tête. Montrant bien qu’elles ne veulent pas être interpellées par les 3-4 journalistes qui ont fait le déplacement.

Puis finalement, Bernadette vient nous voir, ce qui rassure les autres qui, petit à petit sortent et les discussions s’enclenchent.

Ce premier jour sert à l’organisation des groupes de travail, à la présentation du nouveau travail, présentation de la «matière», le cuir. « Ça ne se coud pas pareil. Avec le cuir, on n’a pas le droit à l’erreur. Le tissu, si tu te trompe, tu découds et tu recommences. Le cuir, tu ne peux pas repiquer. Tu piques une fois.» Les machines sont un peu différentes, les machines à coudre sont plus grosses, il y en a de nouvelles, à «raser», à couper…

  1. Rabérin a expliqué la chaîne de production, les échanges avec les autres unités de production. Certaines ont encore des angoisses, des doutes. Mais cette première journée de prise de contact se passe plutôt bien. Elles nous disent qu’elles sont contentes surtout de reprendre le travail.

15 h. Bourg-en-Bresse. L’usine de Bourg fait partie des fermetures de 2010. Les ouvrières ont été licenciées en décembre avec un plan social et des primes supra-légales. Ces fameuse primes qui ne leur ont jamais été versées. Et depuis janvier 2011, elles attendent ces primes pour recommencer une nouvelle vie. Pour les 6 déléguées, la situation est différente puisqu’elles n’ont jamais été licenciées, ce qui fait qu’elles n’ont jamais reçu les primes de licenciement. Et donc elles n’ont même pas droit à ces fameuses supra-légales pour lesquelles elles continuent à se battre.

Aujourd’hui, Arnaud Montebourg est revenu, avec Assya Hiridjee qui vient signer un contrat pour reprendre l’usine. Cette usine, fermée depuis un an, laissée telle quelle, qui n’attend qu’un repreneur. La Communauté de communes a décidé de racheter afin de trouver un repreneur. Et le projet qui avait été proposé à Yssingeaux est le bienvenu dans ce contexte.

2 mar 2012 12:19:00

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Qui sème le vent…

Jeudi 8 mars, 13h30. De gros nuages roulent dans le ciel laissant de temps en temps passer quelques timides rayons de soleil. La burle, le vent du nord, nous glace les os.

Persuadée qu’une foule compacte viendrait accueillir le Président-candidat— que ce soit pour ou contre—, je laisse ma voiture à l’écart et j’entre par l’arrière de l’usine. Pas de foule, ni pour, ni contre. J’arrive juste pour voir les gendarmes mobiles pousser une poignée de manifestants vers un carrefour éloigné.

Puis l’attente commence, dans cette cour offerte au vent. Le candidat-Président est annoncé pour 15h30. Une vingtaine de journalistes occupent la cour, installent leur matériel. Depuis 2 mois, que l’on fréquente régulièrement cet endroit, une certaine intimité s’est installée entre «collègues locaux». On attend un bus de journalistes «officiels» de Paris. Les informations sur cette visite sont floues. Horaire incertain, circuit incertain. Même la presse locale, qu’on dit proche des élus, n’en sait pas plus.

Un attaché de presse de… l’Elysée… vient nous expliquer comment le Président-Président veut organiser la visite. Nous nous présentons, et il énumère une liste de journalistes «autorisés» à entrer dans l’usine ; nous signifie que pour les «locaux», il n’y aura qu’une personne autorisée, qu’il faudra «s’organiser» pour récupérer les images les uns des autres. Nous nous regardons dubitatifs. La multiplicité des supports permet difficilement ce genre d’«arrangements». Et surtout il est difficile d’accepter que ce soit imposé d’emblée. Et par qui?… L’Elysée?… Le candidat?…

Nous voilà privés de Lejaby.

Il nous demande également de nous tenir derrière un ruban de sécurité. De nouveau, regards dubitatifs. Je lâche: «Le jour où la presse sera aussi disciplinée, il y aura du soucis à se faire pour la France!»

Attente. Le vent glacial s’infiltre sous les vêtements, par tous les interstices.

Les «Parisiens» arrivent. Distribution des laissez-passer.

Enfin, les voitures noires entrent dans la cour. Nicolas Sarkozy en descend. Il aperçoit au fond de la cour un groupe d’une dizaine d’«ouvriers» surgis «spontanément» d’on ne sait où, leur fait signe d’avancer. On ne peut s’empêcher de penser à une mise en scène. Aussitôt, nous sautons les barrières et tout le monde se précipite et entoure le candidat, s’agglutinant les uns aux autres pour tenter de capter le bon mot du jour, le regard incontournable auquel le Président nous a habitués, la phrase qu’il ne faut pas manquer, murmurée d’une voix confidentielle.

Puis il entre dans l’usine. Les «refoulés» sont condamnés à attendre de nouveau dans le froid et ce vent, cette burle, typique en Haute-Loire, qui nous transperse de ses rafales piquantes.

Par la fenêtre on aperçoit dans le lointain, à droite, un groupe compact et noir, tandis que vers la gauche les ouvrières vaquent à leurs occupations.

16h40. Les voitures noires s’avancent nous signifiant une prochaine sortie. De nouveau on se précipite, s’agglutine, tente de poser une ultime question. Mais le candidat-candidat se dérobe, se faufile, et disparaît dans la berline.

Je peux enfin approcher les filles et obtenir quelques impressions.

— Alors ?

— Il fait son boulot. Il fait sa campagne.

— Rien à dire, il fait son boulot.

Bernadette prend le temps de répondre aux dernières questions. « Il est venu faire sa campagne. Si vraiment il a dans la tête de se pencher sur l’emploi il y pense pendant tout son mandat. »

Elle n’a pas eu l’occasion d’approcher et de discuter avec le candidat-Président-Président-candidat, et surtout pas eu l’occasion de lui lire le communiqué de presse préparé à son intention. Alors rapidement, sur le perron de l’usine, elle en distribue quelques exemplaires.

« […] Nous n’avons pas oublié la totale inaction du Président de la République après le licenciement des 197 salariés des Lejaby dans les autres sites en 2010.

Nous refusons cette récupération qui veut faire oublier son bilan catastrophique pour l’emploi.

A l’occasion du 8 mars, nous savons que la réforme des retraites qui a allongé le temps de travail a fait reculer le niveau des retraites surtout celui des femmes.

Monsieur Sarkozy, vous n’êtes ni le sauveur, ni le défenseur des droits des femmes. »

Lejaby – Visite N. Sarkozy

17h15. La cour s’est vidée, abandonnée au vent.

Avec Bernadette et Raymond, nous nous réfugions à la Petite Auberge du coin pour un dernier verre. Nous évoquons les bons moments de cette aventure où une poignée de femmes, en quelques jours a réussi à faire passer un problème local, au fin fond d’une campagne sinistrée, à un débat national, crucial, peut-être déterminant en cette période électorale, et a fait déplacer un Président de la République. Bernadette avoue qu’elle se sent fière de cette lutte, fière de cette solidarité entre elles.

Nous évoquons cette curieuse journée du 8 mars, dont nous avons du mal à comprendre le sens. On dit « Il fait sa campagne. » « Il est en recherche d’arguments. » On fait remarquer qu’il n’y avait pas de spectateurs, ni fans, ni curieux. Je dis finalement « Tout ça c’est du vent, rien que du vent. »

Lejaby-Raymond Vacheron by Carnet de Bord-Lejaby

Photo © Reuters, vue de l’intérieur

9 mar 2012 14:53:41

11 Commentaires

Sauveur Giordano…
Rédigé par : Dam | 09/03/2012 à 21h15
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Justement sans commentaire!!
Rédigé par : richter | 10/03/2012 à 09h45
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Et bien voilà! Tout est dit! M.Sarkozy n’aura été que du Vent durant 5 ans! Mais quel Vent! Un vent qui Nous a glacé les Os,un vent qui a dévasté toutes Nos Libertés,un vent qui a répendu sur Notre Pays la Haine la Violence la Misère et la Mort! 5 années,peuvent ètre trés courtes! Mais « Celles-ci » Furent interminables! 5 ans de plus! Et alors Là!Nos Vie n’y survivront pas!
Rédigé par : Dérangeant | 10/03/2012 à 09h51
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Merci Michèle Blumental. Pour ces petits épisodes Scandaleux et Criants,pourtant mis au Silence sur Nos grandes chaines soit disant Publiques!
Rédigé par : Dérangeant | 10/03/2012 à 10h01
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En fait il aurait mieux fait de ne rien faire notre Président.
Ce que cherche les travailleurs c’est donc de l’argent pour fermeture d’entreprise et après toucher du chômage à vie……
Je commence à comprendre pourquoi des gens vote pour Sarkozy !
Rédigé par : Tiboly | 10/03/2012 à 10h40
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oui bon vent monsieur le president
nous vous accordons un congé parental pour 5 ans
et un espoir de meilleurs jours pour nous tous
Rédigé par : moana | 10/03/2012 à 10h52
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les lejaby ont fait un beau combat pour defendre
leur emploi personne n’est heureux d’être au
chomage aujourd’hui il faut absolument un président
soucieu de l’emploi et en faire une priorité
Rédigé par : moana | 10/03/2012 à 11h03
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Quelle misère ce bonimenteur. De l’air.
Rédigé par : peyo | 10/03/2012 à 12h18
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oui, merci pour ce témoignage
Rédigé par : papy_57 | 10/03/2012 à 16h01
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rectification soucieux avec un x….un peu trop
de precipitation pour le message
Rédigé par : moana | 10/03/2012 à 18h12
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excellent article Michèle, bonimenteur, truqueur, tricheur et il a l’audace de se présenter comme sauveur du petit peuple. La seule chose qu’il mérite c’est le fouquets…. et surtout la porte , ouste , dehors
Rédigé par : libegaf | 10/03/2012 à 19h26
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Le montage, c’est de la haute-couture

Jeudi, 3 mai. Le printemps remplit mon bureau de chants d’oiseaux et d’odeurs fraîches.

Depuis le 8 mars, je ne suis pas retournée à l’usine. Pourtant, je n’ai pas quitté « Les filles » parce que chaque jour je travaille sur le montage des images tournées là-bas. Je tâche de monter un film sur cette lutte. Avant de monter un documentaire plus définitif, il me semble important de retracer ces quelques semaines de lutte, et de fraternité.

Je voudrais ne présenter qu’une succession de portraits et qu’elles y soient toutes, mais il faut retracer l’historique. Il faut expliquer. Et c’est toujours trop long, alors il faut couper, couper, et encore couper. Là-bas, on rappelait tous les jours aux filles qu’il fallait faire très attention devant les micros et les caméras, parce que tout était coupé et remonté. J’essaye de laisser des longs moments bruts mais c’est encore trop long. Et la caméra bouge. Alors il faut couper. Les AG, surtout. Ces moments si importants où tout se noue et se dénoue et où c’était Raymond, le couturier, le styliste. Ces AG qui se terminaient toujours en chansons. Les chansons de Jacqueline qui pouvait en un soir, un week end écrire une nouvelle chanson, qu’elle testait avec elles toutes et corrigeait à l’infini. Là aussi il faut couper.

Finalement le montage, c’est de la haute-couture.

Ce film est d’ores et déjà programmé pour un festival.

Il s’agit du Festival du film Engagé, de Clermont-Ferrand (12 mai, 20h30, salle de l’Université Populaire). Il a été créé par Jean-Pierre Sérézat, ex-Michelin, qui a découvert le monde du documentaire en se retrouvant lui-même dans un film (Parole de Bibs).

La date toute proche m’angoisse déjà.

Une conversation récente avec Raymond m’a ramenée à l’esprit cette citation :

« Il avait raison, le conteur : ce n’est pas le sifflement qui fait crouler la montagne, c’est le bonheur. » (Louise Michel, Légendes et chansons de gestes canaques)

3 mai 2012 15:13:53

3 Commentaires

Merci pour la brochure du festival
Rédigé par : Elodie | 03/05/2012 à 15h28
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Bonjour,
Je recherche la page que Libé avait consacré à deux ouvrières de Lejaby, pourriez-vous m’aider? Merci!
Rédigé par : Danièle | 07/05/2012 à 14h56
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Si le montage c’est de la haute couture, alors le film est une robe de bal ? pour sortir, valser, faire rêver ou réfléchir, boire des coups, discuter, se retrouver, rencontrer de nouvelles personnes… Allez, bon festival ! et vive la mémoire de Louise Michel !
Rédigé par : myriam | 08/05/2012 à 14h45
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«On a laissé mourir un métier»

Mardi, 8 mai, 10 h. Le printemps s’est installé mais les températures restent fraiches et nous obligent à « éclairer », comme on dit ici, à allumer du feu.

Je prends des nouvelles auprès de Nicole Mendez (déléguée CFDT à Rillieux-la-Pape). Nous évoquons le poids des Lejaby sur la campagne électorale, sur la question de la désindustrialisation, des délocalisations. En riant, nous disons, « il y aura peut-être un jour, une « loi Lejaby« ».  Il y a quelques jours, parlant de la nouvelle direction de Lejaby, elle me faisait part de son optimisme. Aujourd’hui, elle me raconte les projets de développement du nouveau patron: réembauche, pour développer la production locale, formation de jeunes. Faisant allusion à son intervention à Yssingeaux (voir texte «Usine cherche patron désespérément» du 29/01),  je lui dis «Tu as enfin retrouvé un patron». Elle me dit: « On a retrouvé un patron et un patron qui met les mains dans le cambouis. Il veut remonter la marque, dans le luxe. Il veut essayer de faire en sorte que toute la production soit concentrée là. Il va s’appuyer sur des jeunes qu’il veut former. Le problème c’est que des couturières, on n’en trouve plus. On a laissé mourir un métier». Je lui demande s’il n’est pas possible de réembaucher celles qui ont été licenciées. Elle dit que maintenant, celles qui ont été licenciées en 2010 ont trouvé du travail. Elles ne lâcheront pas pour revenir. Nous discutons un moment de ces conceptions du travail qui se sont développées ces dernières années. Du développement des activités de services, au détriment du « vrai travail ». De la différence qu’il y a entre un travail, un emploi et un métier.

Cathie a laissé un commentaire sur ce texte :

« Oui on a laissé mourir un métier. Des petites mains qui s’appliquent à l’ouvrage. L’amour, la passion, le savoir faire, on a tout mit aux oubliettes. Combien de temps faudra-t-il pour qu’enfin les Français refusent de laisser partir leur savoir faire à l’étranger. Tous ces métiers manuels qui font la fierté de notre pays, vont disparaitre petit à petit au profil de l’argent facile. Ancienne Lejaby d’Yssingeaux, OUI je travaille aujourd’hui, mais je ne fais plus le si beau métier que j’avais appris ».

9 mai 2012 12:11:33

1 Commentaire

oui on a laisser mourir un mérier. Des petites mains qui s’appliquer a l’ouvrage .L’amour, la passion ,le savoir faire,on a tout mit aux oubliettes.Combien de temp faudra t’il pour qu’enfin les français refuse de laisser partir leur savoir faire a l’étrangé.Tout ces métiers manuel qui font la fiertée de notre pays,vont disparaitre petit a petit au profil de l’argent facile.ancienne lejaby d’yssingeaux,OUI je travail aujourd’hui, mais je ne fait plus le si beau métier que j’avais appris.
Rédigé par : cathie | 20/05/2012 à 20h31
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Gare aux ragots

Jeudi, 16 h. La chaleur accablante me submerge. Le vent inonde mon bureau de bouffées chaudes pleines d’odeurs de foin coupé.

Demain, nous montrons le film à Yssingeaux. Avec l’association Citoyens Solidaires, nous avons organisé une projection spéciale pour la ville (vendredi 29, 20h30 au Lycée agricole d’Yssingeaux). J’essaye de retoucher le film, de corriger, d’améliorer. Mais rien ne me satisfait. Et je sais que beaucoup seront déçus de ne pas s’y retrouver. Comment faire ? Il faut raconter cette lutte et en même temps parler des enjeux politiques, de la solidarité, de tout ce qui s’est passé autour des « filles ». Et puis les élections sont passées, et nous sommes aujourd’hui dans un monde nouveau. Est-ce que les choses ont changé ? Est-ce que les enjeux ont changé ? Déjà le film est en retard sur l’actualité.

Personne ne l’a vu en Haute-Loire et pourtant des rumeurs circulent. J’ai des échos de polémiques. « On » reproche toujours à Bernadette de ne pas avoir dit « merci ». On me reproche mon travail, je ne serais pas une bonne « militante », semble t-il. Plusieurs fois cette semaine, des copains emploient ce terme de « militant ». On y sous entend la nécessité du sacrifice, du don de soi, … ou plutôt de moi, pour être précis. Et Bernadette se voit reprocher son syndicalisme. Quelqu’un lui a dit que la CGT allait payer pour ne pas avoir dit merci. Je m’interroge sur ce qu’est un militant. Je ne me suis jamais défini comme militante, et même je crois que je déteste ce mot. Chaque fois qu’on le prononce, c’est pour des reproches ou pour donner des leçons. On l’est jamais assez… ou trop, c’est selon. Chaque fois j’ai l’impression qu’on creuse un fossé sous mes pieds. Est-ce qu’on fait les mêmes réflexions à un homme ? Est-ce qu’on attend d’un homme le même sacrifice ? Ce qui est sûre c’est que chaque fois qu’un travail est achevé, les rumeurs et les ragots affluent et bourdonnent. Dans ce département qui tient dans la paume d’une main, il est de bon ton de raser les murs, de ne pas se faire remarquer. Et si tu te montres trop, alors gare aux ragots. La littérature est pleine de ces histoires de filles perdues parce qu’elles se sont trop exposées, trop montrées. Une littérature qui sent le renfermé. Et je n’ai pas le souvenir d’avoir présenté un travail, quel qu’il soit sans que ce phénomène se reproduise. Comme des mouches qui sortiraient de ces livres surannés. Bernadette a tenu tête. Elle devra peut-être payer son courage. Une femme bien ne doit pas tenir tête.

Maintenant, elles ont terminé la formation. Elles sont donc officiellement employées par Sofama, et définitivement plus des Lejaby. Les commentaires vont bon train « Combien de temps ça va tenir ? ». « C’était une opération politique. »  « Maintenant que l’argent est consommé, et que le gouvernement a changé, il va fermer. » Difficile de démentir ou d’affirmer quoi que ce soit parce que le patron me fait barrage et refuse toujours de me recevoir. « On » lui aurait dit que je l’avais « égratigné » et qu’il ne faut pas me parler. Des ragots toujours des ragots.

29 juin 2012 11:10:02

1Commentaire
Michèle ton film est une réalitée qui dérange surement certaine personne.Personnellement j’y retrouve l’éssentielle de notre combat.Tu as réussi a me faire revivre des moments qui on marqué ma vie.Les mauvaises langues diront et penserons se qu’il veulent.Auront t’ils seulement un jour le courage de faire la méme chose que nous!Moi je te dit BRAVO et MERCI de nous avoir soutenue pendant ces jours difficiles.
Rédigé par : cathie | 22/08/2012 à 19h35
 

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